
À l'heure où la Chine et la Russie affichent une amitié « sans limite », une nouvelle forme de désinformation émerge sur les réseaux sociaux chinois.
« Bonjour amis de Chine ! Nous sommes actuellement devant la centrale nucléaire de Kharkiv (Ndlr : la deuxième plus grande ville d’Ukraine). Nous l'avons récupérée après avoir combattu les soldats américains ! » Derrière cette déclaration enflammée se cache, non pas un soldat tchétchène comme il le prétend, mais un internaute chinois utilisant des filtres pour modifier son apparence. Sous le pseudonyme de Pavel Korchatie (保尔 柯察铁), l’individu créé de toutes pièces, aux traits grossièrement modifié par un filtre a réussi à bâtir une audience de 400 000 abonnés en seulement neuf mois sur Douyin, la version chinoise de TikTok.

Sa motivation était avant tout pécuniaire : profiter des services de ventes en ligne de Douyin pour écouler des produits russes, principalement du miel et de la vodka, comme l'a révélé le média chinois Bad Review. La supercherie a finalement été découverte grâce à son adresse IP, localisée dans la province du Henan, à plus de 10 000 kilomètres du front ukrainien. La plateforme a rapidement suspendu son compte.
Une tendance qui se propage sur les réseaux sociaux chinois
Cette imposture n'est pas un cas isolé. L'influenceuse Russian Nana, qui avait séduit près de deux millions d'abonnés, s'est révélée être un homme chinois utilisant des filtres pour se faire passer pour une jeune Russe éprise de culture chinoise. Dans la même veine, Sichuan Putin s'est fait connaître en imitant la démarche caractéristique du président russe, avec un bras ballant et l'autre rigide le long du corps.

Le deepfake, nouvelle arme de la désinformation
Plus inquiétant encore, le cas d'Olga Loiek illustre l'évolution technologique de ces usurpations d'identité. Cette youtubeuse ukrainienne a découvert avec effroi une trentaine de comptes utilisant son visage sur Xiaohongshu, nouveau réseau social chinois inspiré d'Instagram. Grâce au deepfake, son image est détournée pour diffuser des messages pro-Russes en mandarin.
« Je me suis vue parler le mandarin avec le Kremlin et des images de Moscou derrière moi, à raconter combien la Russie et la Chine sont des pays extraordinaires, témoigne-t-elle sur sa véritable chaîne YouTube. C'est effrayant, parce que je ne pourrai jamais dire de telles choses. » Et tandis que ses doubles numériques cumulent jusqu'à 150 000 abonnés par compte, Olga n'a pas gagné le moindre dollar avec ses vidéos sur YouTube.
Un phénomène révélateur des tensions géopolitiques
Selon Chenchen Zhang, professeur de relations internationales à l'Université de Durham, ce phénomène s'appuie sur des ressorts psychologiques bien identifiés : « Les abonnés consomment ce contenu pour réaffirmer leur fierté nationale et masculine (...). Ce nationalisme, comme partout dans le monde, inclut bien souvent une dimension sexiste. »
Si le gouvernement chinois encourage le nationalisme sur les réseaux sociaux, rien ne prouve son implication directe dans la prolifération de ces faux comptes. Certaines provinces ont néanmoins établi des partenariats avec des influenceuses russes authentiques pour promouvoir des messages similaires, souligne le New York Times.
Ces contenus émergent dans un contexte géopolitique marqué par la déclaration d'une amitié "sans limite" entre la Chine et la Russie au début du conflit ukrainien. Les créateurs de ces vidéos ont su exploiter cette convergence entre situation politique, avancées technologiques et montée du sentiment patriotique de l’axe sino-russe.
Face à la prolifération des deepfakes, les réponses divergent. L'Europe fait figure de pionnière en la matière avec son AI Act, imposant l'étiquetage des contenus générés par IA. La Chine, malgré une réglementation stricte sur l'usage des deepfakes depuis 2022, peine à endiguer le phénomène. Une faille qui pourrait avoir des conséquences au-delà des simples arnaques commerciales.
"La Chine peine à endiguer le phénomène" surtout si ça arrange les autorités...