
Peut-on faire dans le porno, et s'extraire de l'ostracisation qui va avec, et exister en tant qu'influenceuse ? Pour Khalamité, la réponse est oui. Mais elle ne veut pas faire exemple.
Khalamité est ce qu’on pourrait appeler une hyperinfluenceuse. La jeune femme de 26 ans aux cheveux bleus est absolument partout sur les réseaux ; on la voit faire des sketchs et des micros-trottoirs en rollers sur X, TikTok et Instagram, ou bien peindre des figurines du jeu de rôle Warhammer 40k et réagir à d'autres influenceurs sur YouTube et Twitch. Mais la créatrice de contenu se trouve très régulièrement en première page de Pornhub et alimente quotidiennement son compte OnlyFans, Mym, Cam4 ou encore Telegram avec ses photos et ses vidéos. Vous l’avez deviné, Khala est une actrice porno, mais elle est en fait plus que ça.
Contrairement à ses prédécesseuses qui ont eu un mal fou à sortir de la case où elles étaient enfermées, Khala a décidé qu’elle serait une créatrice de contenu comme les autres. Jamais cantonnée aux sites interdits aux moins de 18 ans, elle vit à la fois des abonnements de sa communauté et des opérations spéciales qu'elle signe avec des marques et des organismes, dont elle fait la promotion sur les réseaux classiques. Et à travers son parcours encore atypique, c’est toute la manière de faire « carrière dans le porno » qui est en train de changer.
Peux-tu nous donner quelques informations sur le début de ton parcours dans le monde du porno ?
Khalamité : J'ai commencé il y a six ans, quand j'avais 20 ans. À l'époque, je travaillais dans des bureaux d'avocats et à l'accueil de banques. C'étaient des jobs ennuyeux et j'avais beaucoup de temps devant mon ordinateur, à ne rien faire. Un jour, je me suis dit que je pourrais essayer de trouver un revenu complémentaire. C'est là que l'idée de vendre mes culottes m'est venue – ça semblait amusant et original. Au début, je pensais que des culottes seules pourraient intéresser des acheteurs. Mais je me suis vite aperçue que ce n'était pas si simple. Les gens étaient surtout intéressés par l’expérience et l’histoire autour de la culotte. Alors, j'ai décidé d'accompagner mes ventes de petites vidéos où je montrais les culottes que je portais. J'ai sorti ma caméra, mis des lumières, enfilé un petit costume, installé un décor… Je me suis vraiment éclatée ! Et là, ça a pris.
Donc, en faisant ça, tu as découvert une passion ?
Khalamité : Oui, totalement. À partir de ce moment-là, j'ai réalisé que ça pouvait être bien plus qu'un simple job d'appoint. Il y a un côté très créatif dans tout ça, même si c'est parfois difficile à faire comprendre aux gens. Tu t'occupes de tout : les lumières, le son, le scénario, le maquillage… Tu fais de la communication, de la vente, du montage. En fait, c'est comme si tu étais une petite entreprise à toi toute seule.
Comment as-tu vécu cette progression vers un contenu plus hard ?
Khalamité : Il faut savoir que j'ai été diagnostiquée autiste assez jeune. Mes parents s'en sont rendu compte quand j'étais enfant, et je crois que cela joue un rôle. J'ai moins de normes sociales intériorisées. Pour moi, montrer son corps n'a rien d'embarrassant ; tout le monde en a un. C'est une façon de voir les choses que j'ai depuis longtemps, de ce fait, je n'ai jamais ressenti de pression sociale, de peur du jugement, ou de honte.
Comment as-tu vu évoluer cet écosystème qui mélange influence et contenu porno ?
Khalamité : Je voudrais revenir un peu en arrière pour donner du contexte. Dans les années 80 et 90, le porno était payant. Il fallait du matériel, rémunérer les gens… C'était un vrai business. Puis, avec l’arrivée d’Internet dans les années 2000, tout est devenu faussement « gratuit » avec des plateformes financées par la publicité. Jusqu’en 2015, c’était impensable de payer à nouveau pour du porno. Même quand tu payais, c’était pour des plateformes comme Jacquie et Michel où, pour trois euros, tu avais accès à des centaines de vidéos. On est donc passés d'une époque où les actrices étaient des stars à une période plus « fast-food », qui a transformé les créatrices en contenus à consommer sur Pornhub, sans personnalité et sans histoire.
Est-ce que les nouvelles plateformes comme OnlyFans ont de nouveau changé la donne ?
Khalamité : Absolument, et je trouve cela très positif. J’ai l’impression que le fait d’avoir eu une offre pléthorique de porno accessible en moins de 30 secondes a remis au centre le besoin de connaître un peu la personne, de créer une sorte de relation parasociale avec l’actrice. Ces plateformes sont venues combler ce vide. Aujourd’hui, beaucoup de femmes qui faisaient des productions à répétition pour de faibles rémunérations, souvent dans des conditions de travail médiocres, n'ont plus besoin de passer par des producteurs ou des réalisateurs. Elles peuvent gérer leur propre image et produire du contenu qui leur plaît vraiment. On retrouve une certaine indépendance mais aussi une forme de starification. Je ne dirais pas qu’on est des idoles, mais on est redevenues des personnalités qui intéressent les gens. On fait des couvertures de magazines, on partage nos hobbies, notre quotidien…
OnlyFans est aujourd'hui réputé comme étant bouché. On voit même apparaître des « OnlyFans Managers », des entrepreneurs qui promettent d'aider des filles à se lancer sur la plateforme contre 50 % de leurs revenus. Tu en penses quoi ?
Khalamité : J’en ai des centaines dans mes DM, c’est un sujet que je connais par cœur. Ces types n'arrivent à rien et ceux qui prétendent gagner de l'argent avec cette activité vendent en fait des formations à d'autres hommes en leur promettant d'être aussi OF managers. J’ai même pris le temps de répondre à certains d’entre eux pour voir ce qu’ils proposaient. Ils n’ont aucune stratégie pour les réseaux sociaux, aucune pour les plateformes. C’est le néant. Comme la plupart des travailleuses du sexe refusent de travailler avec eux, ils se tournent vers l'intelligence artificielle pour créer des filles virtuelles et automatiser leur création de contenu. C’est dire à quel point leur business repose sur du vent ! Leur compte est propulsé grâce à l'achat massif de followers, mais les internautes ne s'y trompent pas et voient tout de suite que c'est faux.
Quel rôle joue Pornhub aujourd'hui dans l'industrie ?
Khalamité : Pornhub, c’est la vitrine, c’est là où il faut être pour être vu par le plus grand nombre de gens possible. Mais je n’y donne qu’un aperçu de mon travail. Comme les vidéos doivent durer plus de 10 minutes pour être mises en avant sur la page d’accueil, je mets en ligne les moments où je parle beaucoup avec un tout petit peu d’action. Ça permet de voir si les gens accrochent à ma personnalité et de garder le gros de la performance pour les plateformes payantes.
Parce que sinon, ce ne serait pas rentable ?
Khalamité : Exactement. Même si j’ai des vidéos qui marchent bien – certaines ont fait jusqu’à 22 millions de vues –, toutes ne connaissent pas ce succès. Si je proposais tout gratuitement sur Pornhub, ce ne serait pas viable économiquement, car la plateforme propose une rémunération d’un euro pour 1 000 vues. Avec mon système, je sais que la moitié de la France va voir ma tête plusieurs fois et qu’ils auront plus le réflexe d’aller payer un abonnement par la suite.
Pourquoi est-ce que tu multiplies les plateformes payantes ? Tu y diffuses pourtant le même contenu ?
Khalamité : Ça me permet surtout de créer plusieurs offres. Par exemple, mon abonnement principal sur Mym est à 60 euros par mois, et il permet d’accéder à toutes mes vidéos depuis mes débuts. Sur OnlyFans, l’abonnement est plus accessible, à 10 euros, parfois moins en fonction des promotions. Pour ce prix, les internautes peuvent voir des photos, quelques vidéos anciennes, mais ils doivent rajouter 10, 15 ou 20 euros pour accéder aux vidéos les plus récentes.
Tu entretiens des liens très étroits avec ta communauté et tu organises même des castings avec eux. Est-ce que cette dimension-là n’est pas un peu compliquée, voire dangereuse ?
Khalamité : Les personnes les plus dangereuses dans ce milieu, ce ne sont pas les abonnés, mais les acteurs. Pour beaucoup d’entre eux, la motivation première n’est pas vraiment professionnelle. Souvent, ce sont des libertins ou des types qui, un matin, décident de devenir acteurs porno en se disant que c’est une opportunité d’avoir des relations avec des femmes. Moi, si je tourne, c’est parce que j’adore tout le processus : les lumières, le montage, les costumes. Mais eux, c’est souvent pour se dire : « je vais me faire des filles ». Ils viennent en pensant qu’ils vont passer un moment génial, qu’ils sont là pour s’amuser, et moi je dois leur rappeler qu’ils sont là pour travailler. Et là, souvent, ils font la tête, travaillent mal, et certains peuvent même être irrespectueux ou violents. Avec les abonnés, je mets tout de suite les choses au clair. Quand je tourne avec eux, je leur dis dès le début : « Si tu dis ou fais quelque chose qui me met mal à l’aise, je m’en vais. » Je leur rappelle aussi que s’ils se sentent mal à l’aise, ils doivent me le dire, parce que le consentement, c’est crucial. Mais si quelqu’un fait un geste sans me demander ou sort du cadre de ce qu’on a convenu, je pars, tout simplement. On a souvent cette image du « danger de la foule », des fans incontrôlables, mais en réalité, les haters sont souvent en ligne, tandis que les gens que je croise dans la rue et qui me reconnaissent sont tous adorables.
Est-ce qu'ils te suivent aussi sur le contenu non pornographique que tu produis à côté ?
Khalamité : Oui, pour moi c'est important de leur faire comprendre qu’on est des personnes à part entière, avec des personnalités. C’est aussi une manière de montrer que ce que je fais est une forme d’art. Par exemple, je poste du contenu sur Warhammer (des figurines à peindre) sur TikTok. Pourquoi ? Parce que je veux qu’ils comprennent qu’on a tous des centres d’intérêt variés. Si je parle de Warhammer, ils peuvent se dire : « Ah, mais peut-être que celle que je regarde aime les jeux vidéo, ou les plantes, ou la lecture. » J’ai envie qu’ils interrogent leur regard sur nous et qu’ils ne nous voient pas seulement comme des « salopes » à objectifier.
Avant toi, beaucoup d'actrices ont tenté de sortir de la case porno sans forcément y parvenir. Est-ce que c'est encore le cas ?
Khalamité : Effectivement, je pense à Céline Tran (ex-Katsuni) ou bien à Nikita Bellucci, qui ont parfois eu des difficultés à se reconvertir et à qui on refusait de nombreux jobs parce que, pour les employeurs, leur passé dans le porno était jugé « sale ». À présent, les choses commencent à bouger. Le porno devient une manière de se faire connaître, mais il faut profiter de cette notoriété pour présenter autre chose. Maintenant que tout le monde me connaît, j'assume mon côté créatrice, je fais d'autres vidéos, je lance mon propre merch, je planche sur un projet de bande dessinée. Que les gens sachent ou non que je fais du porno, peu importe. S’ils le découvrent, où est le problème ? C’est ça la voie que je veux suivre : être libre de créer dans différents domaines, sans me limiter à une seule étiquette.
Est-ce que la mentalité des marques évolue aussi sur cet aspect ?
Khalamité : Ça commence tout juste, et il faut pouvoir convaincre les marques que ça fonctionne très bien. On sait qu'il y a un problème de mentalité et pas vraiment un problème business, étant donné qu'on a plus de vues que la plupart des influenceuses sur les réseaux et que l'on touche une cible spécifique et bien précise. J'ai récemment fait un partenariat avec une marque de meubles de gaming sur Instagram, la vidéo a fait 100 000 vues, ils étaient super contents. Là, on est en train de négocier pour des partenariats avec des salles de sport aussi, parce que je connais bien ce public, et j’ai la cible parfaite pour ça. Plus on fait des collaborations, plus on peut leur montrer les résultats.
L'influence dans le porno est une affaire rentable en fin de compte ?
Khalamité : En ce qui me concerne, oui, après avoir payé mon équipe et les frais de mon entreprise, je me verse 6 000 euros par mois. Mais attention, je ne suis absolument pas un exemple à suivre. Je pense même être une exception dans ce milieu. Je ne veux pas donner envie aux autres de faire ce travail, il faut rappeler que le salaire moyen sur OnlyFans, c’est environ 100 dollars, et que c’est un métier qui peut vraiment t’éloigner de tous tes amis, de ta famille. C’est un métier où tu peux te faire « gommer », t’isoler, et qui est très dur pour la santé mentale. C’est important d'être nuancé et de ne pas montrer que le côté réussite.
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