
Alors qu’il avait promis de ramener Les Guignols à la vie, le média Blast est sous le feu des critiques après avoir diffusé une websérie indigente et confuse. Et si la satire se trouvait plutôt sur TikTok ?
« Blast, je veux récupérer mon pognon », ce cri du cœur, c’est celui d’Hugo Amizet, dit Misterfox, un youtubeur et streameur spécialisé dans le doublage qui a consacré plus d’une heure de live aux Marioles, le nouveau programme satirique produit par le média de Denis Robert. Comme la plupart des 7 846 internautes qui ont financé cette émission en crowdfunding, Hugo est en colère depuis qu'il a découvert 8 épisodes en direct avec sa communauté. Selon lui, cette fiction postapocalyptique mettant en scène Emmanuel Macron, Vincent Bolloré et Sandrine Rousseau (ainsi que trois autres personnages « surprises » ) a un goût d’arnaque, et même de trahison idéologique.
« Ah ciao bonsoir ! »
Voici le texte corrigé :
Présentée il y a un an comme une renaissance de l’esprit des Guignols de l’info, l’émission phare de CANAL+, Les Marioles partait sur de bonnes bases. Bruno Gaccio, l’ex-patron des marionnettes, était aux commandes, tandis qu’une équipe de trois auteurs appréciés des internautes, Usul, Camille Fievez et Max Chabat, s’occupait de l’écriture. Seulement voilà, le projet a floppé en cours de route. L’argent du crowdfunding, largement insuffisant pour couvrir les frais des contreparties et la production des marionnettes, est rapidement parti en fumée. Les marionnettistes, qui réclamaient un contrat et des droits d’exploitation de leur création, ont été ghostés puis virés du projet au profit d'une boîte de production spécialisée en animation 3D, sans doute plus économique. Enfin, les trois auteurs ont lâché l’affaire en cours de route, ce qui a donné naissance à une mini-série moche et bourrée de blagues misogynes et sexistes.
On y voit Sandrine Rousseau caricaturée en féministe woke hystérique qui « bugue » dès qu’elle entend des phrases qui ne lui plaisent pas et qui se fait menacée d’être frappée avec une clé à molette alors qu’elle s’est fait connaître en luttant contre les violences faites aux femmes. Ce qui devait être un grand retour de la satire de gauche finit par donner un programme extrêmement confus et gênant, diffusé en catimini sur une chaîne secondaire de Blast et accompagné d’une vidéo explicative de Denis Robert sur les difficultés de production. Cette dernière ne revient jamais sur les énormes problèmes d’écriture ni sur l'exploitation des marionnettistes qui ont par la suite porté plainte contre le média. Certains épisodes ne dépassent pas la barre des 400 vues, tandis que sur le site de crowdfunding Kiss Kiss Bank Bank, on peut lire des commentaires dégoûtés de personnes ayant l’impression d’avoir regardé un programme produit par CNews plutôt que par un média indépendant se positionnant à gauche.
Où en est la satire politique ?
Cet échec retentissant des Marioles et de Blast pourrait sembler anecdotique s’il ne symbolisait pas la difficulté de faire vivre une émission de satire politique et médiatique. Depuis la fin des Guignols de l’info en 2018, la seule émission télévisuelle qui s’en approche est celle animée par Nicolas Canteloup juste après le JT de 20 heures sur TF1. Présentant des interviews de personnalités politiques avec des deepfakes de Gabriel Attal ou Donald Trump, l’émission ronronne depuis une dizaine d’années. Si elle affiche des audiences plutôt bonnes, avec un record de 6,15 millions de téléspectateurs en 2022, la pastille reste cadenassée sur la plateforme de streaming de TF1 et l’on ne trouve aucune vidéo virale sur les réseaux. Pire encore, les quelques commentaires qu’elle suscite sur les forums comme Reddit sont négatifs. Les blagues sont jugées répétitives, ringardes et un peu trop inoffensives pour vraiment assurer le rôle de contrepoint politique, essentiel au bon fonctionnement de la démocratie.
Outre le fait que la télévision ne veut plus mettre d’argent dans des émissions satiriques régulières (Les Guignols coûtaient la bagatelle de 30 millions d’euros par an), le format parodiant les JT n’est plus d’actualité. Pour épouser les nouveaux modes de consommation des médias, la satire que l’on trouve sur le Web vise ce qui fait le plus réagir, c’est-à-dire les extraits de plateaux TV où l’on voit une brochette d’éditorialistes et de spécialistes donner leur avis sous couvert d’analyse. C’est ainsi que les vidéos satiriques qui ont fait le plus de bruit médiatique ces derniers mois étaient deux parodies du plateau de Pascal Praud. La première, intitulée L’heure de trop, a été réalisée par l’humoriste Malik Bentalha en novembre 2023 et a cumulé plus de 7,3 millions de vues.
La seconde, plus récente, est un sketch de Damien Gillard, diffusé dans l’émission belge Le Grand Cactus sur la RTBF qui a cumulé 396 000 vues en l’espace d’un mois. L’humour des deux vidéos reposait aussi bien sur les gimmicks agaçants de l’animateur que sur sa rhétorique populiste et réactionnaire.
Et pendant ce temps, sur TikTok
Dans les deux cas, l’exercice est réussi mais ils ne sont que des coups uniques qui bénéficient de quelques jours de buzz avant de retourner dans les limbes. Pour lutter contre cet effet « chasse d’eau », certains créateurs tentent de faire vivre la parodie et la satire de manière régulière sur TikTok. C’est le cas de Blablapulp, un compte qui diffuse des petites saynètes animées à la truelle et utilisant des voix générées par AI pour imiter celles de nos politiques. Si Adrien* se revendique justement des Guignols de l’info, son style plutôt trash et vulgaire va plutôt chercher du côté des premiers épisodes de South Park. On croise dans ses vidéos un Jordan Bardella pétomane, un Éric Ciotti coprophage, une Élisabeth Lévy constamment alcoolisée ou un Pascal Praud obsédé par les « Arabes voleurs ».
« Pendant la réforme des retraites, j’ai trouvé qu’il manquait une émission qui pouvait se moquer des politiques ou des personnalités médiatiques en les faisant parler, comme les marionnettes des Guignols, explique-t-il. J’avais appris récemment à faire de l’animation sur la suite Adobe et je me suis lancé dans ce petit projet pour faire rire les jeunes sur TikTok. » Pour sortir une vidéo, Adrien regarde beaucoup l’actualité, et commence à partir sur des gags visuels très « pipi, caca » avant d’écrire des blagues plus construites. « Je m’inspire beaucoup des productions américaines, qui sont toujours très sérieuses et factuelles dans leur récit mais qui poussent les logiques et les rhétoriques des personnages dans l’absurdité ou la vulgarité extrême pour rendre ça drôle. »
Dans un style moins trash mais tout aussi acerbe, on trouve aussi Moustafa Benaïbout, le créateur de la série Mininours (produite par Canal+ via Studio Bagel) et de tout un tas d’autres vidéos d’animation qu’il diffuse sur Instagram et TikTok. À mi-chemin entre le Web et la télévision qu’il a fréquentée à travers le collectif Yes vous aime, monté avec Bertrand Usclat, il a vu comment les différents formats coexistent. D’un côté, une série en deux saisons mettant en scène un petit ours raciste, homophobe et misogyne qui doit accomplir ses travaux d’intérêt général dans une classe de maternelle.
De l’autre, des vidéos réalisées seul et qui se moquent allègrement des masculinistes, des policiers violents, des influenceurs New-Age et des électeurs du RN. Pour lui, même si la satire n’a plus vraiment vocation à être centralisée sur une seule émission télévisuelle, elle n’a plus le même impact en étant diluée sur les réseaux. « Tout le monde pense que les réseaux sont une version améliorée de la télévision car tout le monde peut faire sa propre création », indique-t-il. « Mais en réalité ça n’a pas la même force de frappe. Studio Bagel, qui porte vraiment le genre de la satire dans son ADN, m’a laissé carte blanche sur Mininours. Je crois que CANAL+, malgré ce qu’on dit de Vincent Bolloré, et je comprends les critiques qui lui sont adressées, continue de chercher et de produire un certain humour de gauche, comme Mininours ou Broute. À l’inverse, Instagram filtre complètement mes vidéos, jugées trop politiques, tandis que TikTok supprime puis remet mes vidéos à l’envi sans jamais me donner d’explications. »
Ces difficultés avec la censure des plateformes sociales sont aussi partagées par Blablapulp : « Ma dernière vidéo a été supprimée en moins de 48 heures après avoir atteint 30 000 vues, indique-t-il. Comme j’ai reçu un avertissement de suppression de chaîne, j’ai tenté d’obtenir des informations, mais je n’ai aucun retour. Je pense que c’est à cause de certains mots ou références trop crus que l’algorithme n’apprécie pas. » Malgré cette précarité imposée par une modération opaque, la satire politique vivote au gré des vidéos et des vues, pas toujours égales. Adrien estime que ce n’est pas si mal, tout compte fait : « On est tous les héritiers des Guignols », indique-t-il. « Mais ça n’a plus trop de sens d’avoir une seule émission à présent. J’aime la vision moderne actuelle rendue possible par Internet, qui offre plus de liberté d’opinion et même de radicalité. »
*Le prénom a été modifié.
les successeur des guignole ? le journal des brique , sans hésité !
Bonjour,
"une équipe de trois auteurs appréciés des internautes, Usul, Camille Fievez et Max Chabat, s’occupait de l’écriture."
A noter qu'après la fin du financement participatif, les trois auteurs sus-cités ont du voir venir le naufrage et ont quitté la production. L'écriture des huit épisodes a été comise par Bruno Gaccio et Patrick Lhonore.
Hello
...Vous manque le 3Journal des Briques".
Le rire est de bon ton quand il vient de la gauche et à destination de la droite. c'est lamentable cette article !!!
On ne peut pas, et on ne doit pas, si on se prétend différent, mettre dans la même phrase ; Vincent Bolloré et humour de gauche. C.Q.F.D. C'est comme mettre J.L. Mélenchon et calme. Ou, "Le Monde" et liberté d'expression. Enfin..., je pense...
j.a.d.f.r.
Le format du JT pour faire de la satire politique n'est peut-être pas mort. Connaissez-vous le journal des briques ? Je trouve que c'est un bon candidat pour remplacer les guignols.
Il y a aussi Manu va au cinéma sur Youtube, c'est bien marrant
Merci pourvotre analyse toujours fine.
De toute façon l’humour n’est drôle que quand on est un gauchiste et qu’on tape sur les cis blancs.