
Virginie Courtin est à la tête d’une entreprise dont l’action s’inscrit en symbiose avec la nature. Sourcing responsable, agriculture régénératrice, salaires décents et actions philanthropiques… La directrice générale de Clarins raconte comment elle perpétue cette voie d’excellence.
Votre matière première, ce sont les plantes, la nature. Avez-vous noté l’impact de la crise climatique sur votre sourcing ? Comment adaptez-vous vos pratiques ?
Virginie Courtin : Toute notre matière première vient de la nature, des plantes : nous sommes évidemment dépendants du changement climatique.
Chaque année, nous mettons à jour des cartes du monde avec les changements qui peuvent se produire – sécheresses, inondations, températures… – pour évaluer l’impact à long terme sur nos plantes. Nous faisons beaucoup de modélisations, et avons ainsi identifié qu’une grande partie de nos plantes sera affectée par les dérèglements climatiques dans les cinquante prochaines années.
Pour pallier cela, nous anticipons énormément. Par exemple, nous multiplions les fournisseurs d’un même ingrédient pour couvrir différentes zones et éviter de subir les mêmes aléas au même moment.
Depuis 2016, nous avons aussi commencé à faire pousser nos propres plantes au sein de notre « Domaine Clarins », dans les Alpes. Nous voulions savoir si nous pouvions produire assez en appliquant les principes de l’agriculture régénératrice. Nous avons aujourd’hui une trentaine d’espèces dans les Alpes dont cinq sont déjà intégrées dans les produits. Nous avons acquis un second domaine dans le Gard. Nous y avons mis en place un plan de cultures qui poussent habituellement dans des pays du Sud et qui pourront s’adapter aux changements de température anticipés dans cette région.
Quelle est votre définition de l’agriculture régénératrice et comment travaillez-vous avec vos partenaires et concurrents pour mettre en place cette approche ?
Virginie Courtin : C’est le degré d’agriculture le plus exigeant pour rendre la terre meilleure qu’on ne l’a trouvée. Parmi les prérequis : cultiver en bio, utiliser des produits naturels, couvrir les sols, respecter les saisonnalités, adapter son irrigation…
Nous nous y employons avec nos fournisseurs. Par exemple, 80 % d’entre eux sont certifiés EcoVadis. Pour eux, c’est une démarche vertueuse dans laquelle ils peuvent embarquer leurs autres clients. Nous avons aussi lancé le programme T.R.U.S.T. afin d’assurer davantage de traçabilité sur les plantes présentes dans nos produits. Celui-ci utilise la blockchain, afin d’avoir une info brute et sécurisée, qu’on ne peut pas modifier a posteriori. Nous avons formé nos fournisseurs de plantes, en général des agriculteurs, et aujourd’hui nous avons plus de 130 plantes référencées.
Je crois par ailleurs essentiel de travailler avec nos concurrents au sein de consortiums, pour qu’ensemble nous puissions nous aligner sur des pratiques communes.
Dans une époque où la technologie est synonyme de progrès, quelle relation entretenez-vous avec les techniques artisanales ?
Virginie Courtin : Avec les Domaines Clarins, nous sommes devenus agriculteurs. Cela signifie apprendre le temps long, le temps de la terre, des plantes, s’adapter aux saisons. Dans l’agriculture régénératrice, l’un des prérequis est de changer les zones de culture pour mettre les terres en jachère – la monoculture épuise les sols. Sur le Domaine Clarins dans les Alpes, il n’y a aucune machine, tout se fait à la main, sauf le labourage qui est fait par les chevaux de trait.
Quels changements avez-vous opérés à votre arrivée comme directrice générale ?
Virginie Courtin : Deux chantiers principaux ont été identifiés à mon arrivée : les ingrédients et les packagings.
Pour les ingrédients, je voulais qu’on ait une charte de sourcing responsable. Nous essayons de sourcer en France et de mettre en place des circuits courts, mais nous faisons aussi du sourcing européen et mondial, ce qui multiplie les intermédiaires et peut accentuer l’opacité de l’information. Aujourd’hui, 100 % de nos plantes respectent les principes de l’agriculture raisonnée.
Pour verdir notre packaging, nous l’avons voulu recyclable à l’échelle, plutôt que recyclé (et donc pas toujours recyclable). Nous avons investi plusieurs millions d’euros pour refaire les moules de certains produits. La circularité est essentielle pour l’atteinte de nos objectifs de durabilité.
Vos produits sont 100 % fabriqués en France…
Virginie Courtin : Tous nos produits sont fabriqués à Pontoise, dans notre usine ouverte il y a quarante ans, où nous avons aussi un laboratoire de recherche et développement. Nous allons ouvrir une seconde usine de production dans la région de Troyes d’ici fin 2024.
Nous avons parlé environnement, mais la partie sociale de la RSE est également très importante pour vous.
Virginie Courtin : La devise de Clarins est « prendre soin de la planète et des personnes ». Nous menons beaucoup d’actions auprès de nos collaborateurs, de nos partenaires, mais aussi de nos clients ou des communautés qui vivent là où Clarins opère.
Nous avons ainsi mené une étude de deux ans sur le salaire de nos employés, et lorsque nous avons constaté, sur certaines zones, des cas de salaires dits « non décents », nous avons mis en place des rattrapages.
Dans des pays comme Madagascar ou le Burkina Faso, où l’indice de développement humain (IDH) est en dessous de 0,6, mieux payer nos collaborateurs ne suffit pas. Des primes de commerce équitable ont été mises en place pour financer des projets adaptés aux besoins des personnes.
Nous soutenons aussi une centaine d’associations dans le monde œuvrant pour la protection des enfants. Nous avons noué un partenariat avec Mary’s Meals, qui distribue des repas scolaires dans les pays les plus pauvres. 41 millions de repas ont été distribués dans le cadre de ce partenariat. Cela permet de répondre à une double urgence : nourrir les enfants qui ne mangent pas à leur faim et inciter les parents à envoyer leurs enfants à l’école.
Quel conseil donneriez-vous à un(e) dirigeant(e) d’entreprise qui aimerait souscrire à une vision d’excellence sociale et environnementale ?
Virginie Courtin : Ne pas se mettre de limite dans ce qu’on a envie de faire et surtout penser long terme. Dans notre entreprise familiale, mon mandat a vocation à durer. C’est notre secret. Je peux penser Clarins à horizon dix, trente, cinquante ans. Nous investissons dans le futur.
Il faut aussi avoir des utopies. Si on se dit que c’est impossible, on n’avance pas.
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