Trump et sa « Mission Genesis » consacrent l'IA comme priorité absolue américaine face à la Chine. Mais pendant que la Silicon Valley fantasme sur la « singularité » Pékin électrifie à tout va. Dans cette fable géopolitique contemporaine, qui l'emportera ?

Fin 2025, Donald Trump signait Mission Genesis, un décret comparé par certains au Projet Manhattan pour son ampleur et sa portée stratégique. Comme son prédécesseur des années 40, qui avait marqué l'entrée des États-Unis dans l'ère nucléaire, Mission Genesis vise une accélération sans précédent de l'effort national dans le domaine de l'intelligence artificielle. « Il n'y aura qu'un gagnant : les États-Unis ou la Chine », tonne le président américain. Pour y parvenir, l'État compte s'appuyer sur la puissance de frappe de son secteur privé, dont les investissements impressionnent déjà : 350 milliards de dollars dépensés en infrastructures IA en 2024, 400 milliards projetés pour 2026. Face à eux, la Chine et ses 100 milliards d'investissement total semblent loin derrière. Le game est-il pour autant plié par KO financier ?

La foi mystique de la Silicon Valley

Pas si vite, répond Tim Wu. Dans une analyse pour le Financial Times, l'ancien conseiller de la Maison Blanche, professeur à Columbia, convoque le Moyen-Âge et ses cathédrales. Pour Wu, la Silicon Valley poursuit l'IAG (Intelligence Artificielle Générale) et « la singularité » avec une foi quasi-mystique. L’investisseur Marc Andreessen évoque une « pierre philosophale », Demis Hassabis de Google DeepMind des « à répandre la conscience humaine dans la galaxie ». Une « extase séculaire », selon Wu, mais aussi un puissant outil de lobbying : Eric Schmidt et Mark Zuckerberg agitent la menace chinoise, notamment pour éviter les régulations.

La Chine, elle, la joue pragmatique. Son plan « AI+ » 2025 vise des applications industrielles concrètes. Et surtout, Pékin diversifie massivement ses paris. En 2024, le pays a investi 940 milliards de dollars dans les énergies propres, les infrastructures électriques et les batteries – près de 10 fois ses dépenses en IA. Résultat : la Chine produit 70 % des véhicules électriques mondiaux, 80-85 % des panneaux solaires et 75 % des batteries. Pendant ce temps, les États-Unis, sous l'impulsion de l'administration Trump, réduisent leurs investissements dans ces mêmes secteurs.

« Les États-Unis ont tout misé sur un seul cheval », résume Wu. Rien ne garantit que l'IA continuera sa croissance exponentielle, à l'image de la Loi de Moore, qui fut une exception dans l'histoire des technologies. Pour la plupart des innovations, après une explosion initiale, les progrès ralentissent et les rendements diminuent. « Nous ne savons pas où nous en sommes sur la courbe, prévient Wu. Quiconque prétend le contraire invente. »

Autrement dit : l'Amérique pourrait gagner la bataille de l'IA mais perdre la guerre économique. Les signaux d'alarme se multiplient déjà : hausse des prix de l'électricité due aux besoins des data centers, doutes sur la rentabilité réelle des modèles d'IA, et montée d'un sentiment de méfiance anti-IA. La Chine, elle, avance sans fanfare dans les secteurs clés du futur. Si l'avenir se joue sur la transition énergétique et la mobilité électrique, alors l’Empire du Milieu a peut-être déjà pris une avance décisive.

Carolina Tomaz

Journaliste, rédactrice en chef du Livre des Tendances Business de L'ADN.

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