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La Chose : Portrait d'agence

Quand on rencontre Eric Tong Cuong et Pascal Grégoire, on comprend que l’aventure de La Chose est portée par le sens du collectif. A la découverte de deux fils de profs et d’un modèle indépendant qui fait ses preuves.

Pascal Grégoire et Eric Tong Cuong sont les deux fondateurs de La Chose. Leurs parcours respectifs ne les prédestinaient pas à la publicité, ni même à se rencontrer. C’est sur des valeurs communes et le sens du collectif qu’ils décident de monter, ensemble, leur agence indépendante.

 

Pascal Grégoire a commencé son parcours dans l’économie. « C’était une voie qui me plaisait, mais je me sentais déjà attiré par la pub ». Le challenge pour ce Vosgien d’origine, c’est de trouver une école qui ne soit pas payante. Au CELSA, il fera un stage qui lui donne « l’envie folle de continuer dans ce métier » : chez BCRC, où il commence en tant que commercial. Il rejoint CLM BBDO, et c’est là qu’il se rend compte qu’il veut faire de la créa. « Philippe Michel m’a filé un bureau, un brief, et m’a demandé une campagne pour le lendemain. J’ai passé la plus mauvaise nuit de ma vie, mais ça a donné une belle campagne pour Le Figaro ». Il tient à la dualité de son profil. Pour lui, « on ne doit pas s’enfermer dans un rôle. Pour être manager, c’est important d’avoir bossé à plusieurs endroits, ne serait-ce que pour comprendre ce qu’est un client ». Il rejoint Leo Burnett avant d’aller chez Bélier où il devient Directeur de Création à 27 ans. « Avec une équipe de 70 à 80 créatifs, c’était un peu chaud ! », confie-t-il. Il apprend sur le tas, et ça lui correspond plutôt bien. « J’étais en contact avec l’extérieur, tout en étant sur les idées. Ce métier me permet d’être un peu partout, hors des étiquettes et des trucs fermés ». Il apprend à faire travailler des équipes ensemble, et monte Leagas Delaney Paris. « J’étais parti de rien, on avait un petit bureau et 3 personnes… L’aventure est jolie ». Jusqu’en 2003, c’est une agence qui brille beaucoup, qui compte des clients comme IKEA ou adidas. « On a fini à 70 personnes, dans une structure avec une belle culture, très créative ». Le passé finit par le rattraper lorsqu’il accepte la présidence de CLM BBDO. « A ce moment-là, j’hésite, c’était une époque difficile pour l’agence. Elle venait de perdre EDF, Christophe Lambert partait… ». Il ne retrouve pas l’agence qu’il avait quittée. « Il fallait se battre pour faire renaître ce que je pensais être le vrai CLM ». C’est à ce moment-là qu’Eric Tong Cuong lui propose une nouvelle aventure.

 

« On s’était pas mal croisés sans se synchroniser, comme une histoire d’amour ! », commence Eric Tong Cuong. Lorsqu’il est à HEC, son entourage le voit continuer dans la finance. « Ça ne me branchait pas… J’adorais tout ce qui était musique. En découvrant le marketing et la pub, je me suis dit que c’était sympa : à cheval entre business et art ». A l’époque, l’image de la publicité est plutôt bonne. La télévision s’ouvrait et démocratisait le contenu, provoquant un regard admiratif des gens. « Après une conférence à HEC, j’ai filé mon CV à Jean-Marie Dru. C’est comme ça que je suis rentré chez BDDP. A l’époque, avec CLM, c’était les deux agences qui défendaient l’image d’une pub créative, qui parle à l’intelligence des gens ». Il considère la publicité avec élégance, légèreté, humour. « On s’introduit chez les gens pour leur proposer des messages à caractère commercial, il faut le faire bien ». Il y reste 9 ans, devient DG, et avance de façon très encadrée. Quand il est appelé à rejoindre Havas, il impose le choix de son collaborateur : ce sera Rémi Babinet. « A l’époque, tout le monde trouvait que c’était une erreur de rejoindre Havas. Mais les clients étaient à tomber par terre ! Couverts de suie et de toiles d’araignée, mais avec de l’huile de coude, ça ne pouvait que briller ». Chez ce qui deviendra BETC, il s’attache à mélanger les univers. « Ce que j’ai toujours trouvé intéressant, c’est de placer des gens pas conventionnés sur des sujets donnés ». L’agence est « meilleure agence de l’année les 10 ans où j’y suis resté ». Mais Eric Tong Cuong n’oublie pas ses premières amours, et alors que Patrick Zelnik, patron de Virgin, l’appelle en lui proposant de monter un label indépendant, « il fallait que j’accepte ». Pendant un an, le projet Naive se met en place. L’initiative s’inscrit dans l’identité de BETC : « on a toujours été en tentative, en intelligence d’aider des groupes qui démarrent. Ça permet aussi de faire des différences sonores ». La relation avec les actionnaires financiers se complique, et Emmanuel de Buretel finit par proposer à Eric Tong Cuong un poste chez EMI France. « J’ai vécu à la fois un truc super intéressant que je re-signerai dès demain, et une des expériences les plus violentes de ma vie : j’ai dû faire face à un plan social ». Au bout de 2 ans, il se rend compte que le fantasme était mieux que la réalité. « Je rêvais des Beatles et des Beach Boys, je me suis retrouvé à m’occuper d’un vieux crooner allemand… ». Petit à petit, il perd en satisfaction intellectuelle. « Je ne regrette rien : j’ai rencontré Paul McCartney, je peux mourir tranquille ». Finalement, il rejoint Young & Rubicam pour opérer une fusion avec Wunderman. « Un projet impossible », qui lui fait prendre conscience que le choix qu’il a entrepris n’est pas facile. « Je pars assez rapidement, je constate un manque de vision sur les organisations ».


C’est le moment où La Chose se met en place. Eric Tong Cuong envoie un message à Pascal Grégoire, qui vient de gagner une compétition pour Total. « Je lui ai envoyé : c’est bien ! Tu vas pouvoir sortir par la grande porte ! ». Ils envisagent alors les choses de la même façon : « on savait qu’il ne suffisait pas de faire une agence de pub, qu’il fallait repartir d’une page blanche pour avoir une structure qui correspondait à l’époque et à l’image d’internet ». Leur ambition est d’associer des jeunes au projet, donner une chance à des profils selon eux trop souvent mis de côté, avec la force de leurs noms et de leurs actionnaires. « C’est à ce moment-là que tu peux vraiment faire la différence entre ceux qui se complaisent dans le confort du salariat, et ceux qui sont prêts pour l’entrepreneuriat ». Ils donnent naissance à une agence « dans la folie de l’inventivité ».

Le modèle de départ leur a permis d’avoir une vision différente. « Nos amis de la pub disaient qu’on faisait des trucs internet à deux balles, et les mecs de l’internet qu’on ne connaissait rien au code ». Ils se font attaquer sur leur nom, sur leur modèle, sur leurs idées. Ils feront de tout cela leur force. Eric Tong Cuong explique que le nom « était bien, ça nous représentait : un endroit non formaté par rapport aux grands groupes ultra cloisonnés et spécialisés. Qui a envie d’avoir des agences de second niveau d’un réseau ? » Ils ont le sentiment d’être en avance : on ne comprend pas leur positionnement digital, « mais on savait qu’on avait raison ». Pourtant, les débuts ne sont pas évidents : « quand tu lances une PME, il y a des choses à raconter, des bouquins à écrire sur le parcours du combattant. On n’arrête pas de dire que c’est génial, que tu crées des emplois et à côté de ça, on ne te fait pas de cadeaux ».

 

Aujourd’hui, ils revendiquent un modèle dont les fondamentaux restent inchangés. Pascal Grégoire parle de ses créatifs comme d’ « une population bigarrée où tout le monde touche à tout : ce sont nos magiciens ». Il y a des personnes meilleures que d’autres selon les domaines, mais tout le monde s’entraide. « On est très loin du concept débile du team salvateur qui a été développé dans les années 80 ». Ils choisissent une approche plus pragmatique « On a créé une culture d’ébullition et de croisement ». Les commerciaux, « ce sont les architectes. Ils bâtissent l’ensemble le plan du client ». Il ne suffit plus d’être un pont entre les clients et les créas : il faut une valeur ajoutée, une personnalité croisée.

Ils capitalisent sur les talents des équipes. « Le marché est ce qu’il est, mais il nous permet de recruter à des niveaux que je n’avais pas vus depuis les années 80 », partage Eric Tong Cuong. « Les gens viennent grandir avec nous. Symboliquement, c’est très fort. On a construit quelque chose de beau sans coup d’éclat. On fidélise les gens et les clients », ajoute Pascal Grégoire. « C’est vraiment une course de fond ». Ils insistent sur l’importance de « ne pas faire de fausses campagnes » : leur projet est de faire avancer les marques, les faire progresser. Cela passe par des campagnes auxquelles ils croient : « en tant qu’agence, défendre une idée forte, c’est parfois prendre le risque de perdre. Mais c’est l’assurance de ne jamais baisser les bras ». Les procédés créatifs aujourd’hui sont parfois trop verrouillés par une tendance du test à outrance. Pour Eric Tong Cuong, « Ça crée une perturbation sur le marché. Les marques sont contentes quand elles ont 15% de parts de marché : pourquoi chercher à satisfaire tout le monde avec des tests ? ».  

 

La Chose grandit et déploie ses propres outils de production. « Dans un monde où tout est plus rapide, ça permet d’avoir une certaine agilité, d’être en circuit court ». Au sein de l’agence, Das Ding, un hub digital et social. « C’est très technique et technologique, il y a une nécessité de production très pointue. C’est un pôle à part entière ici ». Plus récemment, Das Ding Records a vu le jour. « Il y a des basculements énormes dans la production et les marques. On sait qu’il est intéressant de produire nous-mêmes : ça devient de plus en plus réel. Das Ding Records nous permet d’aider les jeunes talents à se lancer dans la musique ». Cela leur permet de cristalliser une vision de la publicité qu’ils ont toujours eue : « un rôle d’incubateur ». Ils poussent leurs talents à réaliser leurs rêves d’écriture, de réalisation, d’art. « On essaye de développer ça, de croiser les intelligences. On ne peut pas être imperméable au monde culturel ». Ils déplorent un mode de fonctionnement trop fermé des agences, où les créatifs sont trop conservateurs pour intégrer les révolutions. « Nous, on crée une génération de gens en intégrant un monde artistique à l’intérieur ».

 

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Mélanie Roosen

Mélanie Roosen est rédactrice en chef web pour L'ADN. Ses sujets de prédilection ? L'innovation et l'engagement des entreprises, qu'il s'agisse de problématiques RH, RSE, de leurs missions, leur organisation, leur stratégie ou leur modèle économique.
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