Il a fallu plus d'un an d'enquête à la journaliste Carole Cadwalladr pour pouvoir faire paraitre dans The Guardian le témoignage de Christopher Wylie, jeune geek au parcours rocambolesque. "C'est comme Nixon sous stéroïdes" confie-t-il à la journaliste.
C'est clair. Le cambriolage du Watergate parait ridiculement anecdotique au regard de l'immense guerre de désinformation orchestrée en 2016 par Christopher Wylie et ses complices. Toutefois, à cette heure, Trump n'est pas Nixon, et la responsabilité directe du président n'a pas encore été prouvée.
Quoiqu'il en soit, vous pouvez classer d'emblée Christopher dans le top of the top des lanceurs d'alerte. Il nous explique comment lui, un jeune geek de 24 ans, soutenu par un patron de media conservateur américain - Steve Bannon, alors président exécutif de Breitbart - et un milliardaire - Robert Mercer - généreux donateur du Parti républicain et investisseur de la société Cambridge Analytica - ont décidé de profiler 230 millions d'Américains à des fins de manipulation électorale.
Quel est le fond de l'affaire ?
Christopher Wylie, en s'appuyant sur les travaux de deux psychologues de l'université de Cambridge, Michal Kosinski et David Stillwell, a compris que l'analyse de données éparses sur Facebook suffisait à établir un profil psychologique précis de ses utilisateurs. A partir de quelques like, il serait possible, par exemple, de déduire l'orientation politique ou sexuelle d'une personne. Pour le compte de la société Cambridge Analytica où sévissait le jeune Christopher, le chercheur Aleksandr Kogan de Cambridge s'est proposé de reprendre les travaux de ses confrères. Cette couverture universitaire lui facilitait l'accès aux data de Facebook. Puis la magie de l'outil de publipostage de la plate-forme a fait le reste. En l'utilisant, la société anglaise a pu abreuver de contenus les internautes américains. Les uns étaient ciblés pour conforter leur vote pro Trump, les autres pour les éloigner de la candidate Clinton.
Cet imbroglio ne serait pas complet si les Russes n'entraient pas en scène. Aleksandr Kogan s'est avéré être également professeur agrégé de l'Université de Saint-Pétersbourg. Ses travaux n'auraient pas manqué d'intéresser en Russie.
Depuis ces révélations, Facebook se débat pour nier toute complicité dans l'affaire. En effet, la firme prétend avoir confié ses data uniquement pour l'usage des recherches menées par l'université de Cambridge. Christopher Wylie est nettement plus nuancé. La Federal Trade Commission mène l'enquête. Et si elle devait conclure que la responsabilité de Facebook est engagée, cela pourrait entraîner une amende de plusieurs millions de dollars.
Bon. Laissons la justice débrouiller ce dossier. Hollywood ne devrait pas tarder à nous claquer un biopic sur Christopher Wylie... jeune homme précoce, souffrant de troubles de déficit de l'attention, abusé sexuellement dans ses jeunes années, sorti trop tôt du système scolaire pour se lancer dans la communication politique, et dont un politique de haut rang dit : "Il est l'une des personnes les plus brillantes que vous pourriez rencontrer. Parfois c'est une bénédiction et parfois une malédiction." Tu m'étonnes, Bob !
Aujourd'hui, Christopher Wylie se sent coupable. Et c'est pour faire amende honorable qu'il a décidé de révéler la plus grosse affaire de "mindfuck" digitale du monde (l'expression est de lui).
On sent bien tout le potentiel d'anti-héros du personnage. C'est certain, on ira voir le film.
Mais les internautes seraient bien inspirés de se départir de leurs appétences cinéphiles. La réalité dépasse la fiction. Il est VRAIMENT capital de comprendre les dessous de l'affaire. Ses détails techniques. La manière dont nous sommes tous si bêtement cartographiables. Puis manipulables. Histoire de ne pas être cantonnés au rôle d'invisibles cobayes, de simples figurants.