
Emmaüs Solidarité lutte chaque jour contre la précarité en accompagnant 7 000 personnes à travers la France. En partenariat avec L'Oréal, l’association a mis en place une initiative unique qui offre aux personnes en difficulté un accès à des espaces de beauté. Parce qu’elle n’est pas qu’accessoire, et peut transformer des vies.
Depuis son origine en 1954, en réponse à l'appel de l'abbé Pierre, Emmaüs Solidarité s'est imposée comme un rempart face à la misère et au mal-logement. Cette association, symbole d'une « insurrection de la bonté », continue aujourd'hui de remplir une mission cruciale en accompagnant quotidiennement 7 000 personnes en grande précarité. Les 900 salariés de l’association déploient leur action à l'échelle nationale. Son objectif ? Fournir à ces individus vulnérables les outils et compétences nécessaires pour rétablir leurs droits et progresser dans la société, afin qu'ils puissent vivre dignement.
Dans ce contexte, une alliance surprenante est née. En partenariat avec le géant de la beauté L'Oréal, l’association a développé une initiative innovante, offrant aux personnes en difficulté l'accès à des espaces de beauté et de bien-être. Cette collaboration, à la croisée des mondes de la solidarité et de la beauté, a donné naissance à une expérience unique en France. Pour mieux comprendre comment ces espaces interviennent dans les vies des populations les plus fragiles, L’ADN a rencontré Lofti Ouanezar, directeur général d’Emmaüs Solidarité.
Comment est née l'idée de créer des espaces Beauté & Bien-être en partenariat avec L’Oréal ?
Lofti Ouanezar : Il y a environ douze ans, nous avons rencontré la Fondation L'Oréal, et notre partenariat a commencé modestement avec l'intervention de socio-esthéticiennes et de socio-coiffeuses dans nos centres d'hébergement, où elles animaient des ateliers. Au fil du temps, cette collaboration s'est renforcée jusqu'à ce que, en 2021, nous décidions d'aller plus loin en ouvrant les premiers espaces Beauté-Bien-être en France. Ces espaces sont entièrement dédiés et gratuits pour les personnes en grande précarité. Les visiteurs peuvent s’y procurer des produits de qualité offerts par L'Oréal, tels que des shampoings et des crèmes, ainsi que profiter de séances de soins prodiguées par les socio-esthéticiennes ou des moments de coiffure, qui durent entre 2 et 3 heures. Ce projet est novateur et unique en France, résultant d'une collaboration enrichissante entre la Fondation L'Oréal et le groupe L'Oréal.
Combien de salons ont ouvert jusqu'à présent ?
LO : Nous avons actuellement deux salons à Paris et un salon au Pré-Saint-Gervais dans le 93. Nous avons également des projets à Nantes pour 2024, ce qui laisse présager un développement progressif dans d'autres régions.
Qui peut bénéficier de ces soins aujourd’hui ?
LO : Actuellement, 60 % des bénéficiaires sont des femmes, mais nous avons été agréablement surpris de constater que 40 % sont des hommes, ce qui témoigne de l'attrait de ces espaces pour les deux sexes et de l’importance du self care. Les principaux bénéficiaires sont les résidents d'Emmaüs Solidarité, mais nous avons également établi des partenariats avec d'autres associations, le CCS et le Département, par le biais de conventions permettant d'orienter le public vers nos services. Les deux conditions essentielles sont que les bénéficiaires soient en situation de précarité et qu'il y ait un référent pour évaluer leur situation, car nos espaces ne sont pas des commerces, mais s'inscrivent dans le cadre d'un projet social.
Comment les personnes accèdent-elles à ces espaces ?
LO : Nous sommes en contact avec les mairies d'arrondissement et de ville, qui diffusent des informations sur nos espaces. Nous avons également nos propres réseaux de partenaires et un site internet où nous publions régulièrement des informations. L'Oréal communique également sur notre initiative. Nous cherchons un équilibre entre la quantité de visiteurs et la qualité des services que nous offrons. Petit à petit, notre initiative devient de plus en plus connue. Les gens peuvent prendre rendez-vous en appelant ou en envoyant un e-mail, l'accès se fait uniquement sur rendez-vous.
Quels sont les changements survenus depuis l'ouverture du premier espace ?
LO : Lorsque nous avons ouvert notre premier espace en 2021, situé dans le 10ᵉ arrondissement de Paris, nous avons réalisé qu'il n'était pas adapté aux mamans avec des enfants, car il n'y avait pas d'espace dédié pour les enfants. En réponse, nous avons ouvert un deuxième espace dans le 18ᵉ arrondissement en 2022, doté d'un espace pour les enfants, permettant ainsi à ces femmes de venir accompagnées. De plus, notre troisième espace est spécifiquement dédié aux allocataires du RSA et aux personnes en recherche d'emploi. Cet espace propose des services qui les préparent avant les entretiens, ce qui s'avère très bénéfique. En effet, nos visiteurs ressortent métamorphosés de nos espaces, regorgeant de confiance en eux et d'estime de soi.
Pourquoi prendre soin de soi est si important selon vous ?
LO : L'estime de soi est un élément essentiel, voire déterminant, dans leur parcours d'insertion. Nos espaces beauté sont devenus des outils pour les travailleurs sociaux, qui recommandent à ceux qui en ont besoin de visiter nos lieux. Nos espaces sont non seulement esthétiquement plaisants, mais ils témoignent aussi d'un profond respect envers nos visiteurs. Nos socio-esthéticiennes et tout le personnel savent comment accueillir, dialoguer et prendre le temps avec nos visiteurs, qui souvent ne se permettent pas d'accéder à des endroits tels que les nôtres, pensant que ces lieux ne sont pas faits pour eux. Cependant, nos espaces leur sont spécifiquement dédiés, leur offrant un lieu de rencontre, de discussion et de partage autour d'un café.
Quel est le retour des visiteurs ?
LO : Ils repartent métamorphosés, les yeux brillants, se sentant bien dans leur peau, ce qui les aide à avancer dans la vie. Certains ont même trouvé un emploi grâce à cette transformation, et d'autres osent plus, gagnant ainsi en confiance en eux. Par exemple, pour une personne en précarité, des tâches simples comme acheter un ticket de métro et prendre le métro peuvent être un défi en raison de la confusion temporelle et spatiale. Le simple fait d'organiser un rendez-vous et de suivre un itinéraire pour s'y rendre représente déjà un grand pas. Nos visiteurs sont plus motivés à sortir, s'engager socialement, et reprendre confiance en eux, ce qui est essentiel pour leur insertion. Les personnes que nous accueillons ont souvent perdu leur estime de soi, et ces espaces leur offrent un moyen de la retrouver. Les retours sont positifs, la preuve : la plupart d’entre elles reviennent régulièrement. Ce partenariat entre Emmaüs Solidarité et L'Oréal, qui réunit le géant de la solidarité et le géant de la beauté, est une belle association de compétences complémentaires au service d'un projet social.
Comment voyez-vous cette initiative évoluer dans les prochaines années ? Avez-vous des objectifs formulés soit par des constats, soit par les visiteurs des salons ?
LO : Cette initiative repose sur des constats, à la fois généraux et spécifiques. Tout d'abord, la solidarité est l'affaire de tous. En France, il y a environ 10 millions de personnes vivant dans la pauvreté, gagnant moins de 1 100 € selon l'indice de l'Insee. Ce n'est pas seulement la responsabilité des associations, mais aussi de l'État, des pouvoirs publics, des entreprises, et de chacun d'entre nous. Les entreprises engagées, comme L'Oréal, jouent un rôle crucial. J'aimerais voir cette initiative se multiplier. Si chaque entreprise s'intéresse davantage à des projets de solidarité, cela serait bénéfique. Il est essentiel d'étendre ces initiatives au-delà des centres urbains vers des régions plus éloignées. La solidarité doit inspirer la création de nouveaux projets. Ce que nous avons réalisé avec L'Oréal est très positif, mais d'autres formes de projets et de collaborations doivent être envisagées. L'objectif n'est pas que les personnes accueillies par Emmaüs Solidarité restent avec nous indéfiniment, mais qu'elles acquièrent les outils, compétences et la confiance en elles nécessaires pour voler de leurs propres ailes et devenir des citoyens autonomes. Ce projet est exceptionnel à bien des égards.
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