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Colère agricole, faux coup d'État, haine de Macron : comment Facebook souffle sur les braises

Au milieu de posts identitaires anti-immigration, d'images générées par IA et de contenus centrés sur la révolte paysanne en cours, la plateforme sociale de Meta souffle la rage et la colère.

Le moment n’aurait pas pu être mieux choisi. Alors qu’Emmanuel Macron alerte autour des enjeux de la démocratie à l’épreuve des algorithmes, Facebook revient sur le devant de la scène. En quelques jours, une vidéo publiée sur la plateforme a créé le buzz. On y annonce que la France a subi un coup d'État mené par un mystérieux colonel. Une fake news qui incarne parfaitement les menaces qui planent sur l'influence des réseaux sociaux sur nos débats.

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Un coup d’État en France et la chute d’Emmanuel Macron ? Des vidéos générées par intelligence artificielle sont devenues virales sur Facebook, et des millions de personnes sont tombées dans le panneau. L’Élysée aurait demandé à Facebook la suppression de ces vidéos. On vous raconte. #sinformersurtiktok #emmanuelmacron #ia

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Faux coup d'État et vrai buzz

« À l’heure actuelle, les informations non officielles évoquent bien un coup d’État en France, dirigé par un colonel dont l’identité n’a pas été révélée, et la possible chute du président Emmanuel Macron. » Générée par IA et un adolescent burkinabè qui « voulait se faire connaître », la vidéo met en scène une fausse journaliste télé, en direct dans la rue, en train de commenter un soi-disant putsch militaire à la tête de l’État français.

Publiée le 10 décembre 2025 sur Facebook, la vidéo a rapidement cumulé plus de 13 millions de vues et gagné suffisamment en visibilité pour que le président l’évoque publiquement lors d’une rencontre avec les lecteurs du journal La Provence. Prévenu par « un collègue africain », Emmanuel Macron aurait demandé, via la plateforme Pharos, le retrait de cette vidéo virale. Toujours d’après le président, Meta aurait refusé d’accéder à cette demande au motif que cette vidéo ne « contreviendrait pas à ses règles d’utilisation ». Quelques heures après ces déclarations, le constat semble toutefois plutôt mitigé. Une partie des copies de cette vidéo semble avoir été retirée de la plateforme, mais d’autres versions, légèrement modifiées (parfois mises en accéléré), semblent être encore en ligne sur Facebook, tandis que la propagation se poursuit sur d’autres plateformes comme TikTok.

Pas vraiment conçue pour déstabiliser le pays, mais plutôt pour permettre à son jeune créateur de cumuler des vues, la vidéo est devenue un mini-scandale d’État, illustrant le problème des fausses informations qui règne sur les réseaux sociaux. Or, à bien y regarder, cette fake news n’est en réalité qu’une goutte d’eau dans l’océan médiatique chaotique qu’est devenu Facebook.

Une colère paysanne qui rappelle les Gilets jaunes

Plus qu’une simple vidéo générée par IA mettant à mal Emmanuel Macron — Facebook regorge de contenus slop. Depuis deux ans maintenant, l’orientation générale du fil d’actualité a dérapé. Pour s’en rendre compte, il suffit de scroller quelques heures via un compte Facebook vierge, sans amis ni aucune interaction, afin d’observer où mène l’algorithme de recommandation de contenus. Dans un contexte de fortes tensions dans le monde agricole, causées par les abattages réglementaires de troupeaux touchés par la dermatose nodulaire, le réseau social semble bouillonner d’une colère et de revendications identitaires qui rappellent les épisodes des Gilets jaunes ou des confinements liés au Covid. Les images, réelles mais aussi synthétiques, illustrant la situation agricole sont omniprésentes et critiquent très clairement le pouvoir.

Deux contenus générés par IA créé spécifiquement pour susciter de l'émotion.

Outre les posts viraux de soutien aux paysans ou les images de blocages et de manifestations, plusieurs types de contenus semblent récurrents.En premier lieu, on trouve de très nombreuses images ou vidéos mettant en scène, de manière caricaturale, Emmanuel Macron. Ce dernier peut être présenté les menottes aux mains ou en brouette pleine de fumier. Même lorsque la thématique du contenu ne correspond pas à la colère agricole, le président, ainsi que sa femme, sont très fréquemment moqués et caricaturés par l’intermédiaire de vidéos générées par IA.

Bardela & co, les vrais influenceurs de Facebook

En parallèle, on trouve énormément de posts mettant en avant des personnalités d’extrême droite, particulièrement Jordan Bardella et Marine Le Pen. Les deux responsables politiques sont présentés comme des alliés naturels des agriculteurs, qui s’opposent notamment à l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur. Cette hyperprésence médiatique est soutenue par d’autres personnalités comme Philippe de Villiers, Éric Zemmour, Florian Philippot, Marion Maréchal-Le Pen, ainsi que d’autres influenceurs connus des sphères anti-pass sanitaire et complotistes, comme Gilbert Collard, Jean Messiha ou Olivier Rouhaut (plus connu sous le pseudo d’Oliv Oliv).

Lors de nos différentes sessions de scroll, très peu de posts ou de vidéos mettant en scène des personnalités de gauche sont apparus, donnant l’impression que le sujet de l’agriculture est entièrement préempté par l’extrême droite. Seule la courte séquence télévisuelle montrant la confrontation entre Jordan Bardella et Roselyne Bachelot semble faire office de contrepoids à cette visibilité médiatique.

Enfin, la plateforme continue de diffuser des fake news, comme cette fausse vidéo de coup d’État, mais aussi une histoire de sept gendarmes qui auraient refusé de monter à l’assaut de la ferme de Bordes-sur-Arize le 12 décembre dernier. À l’aide d’images d’archives ou générées par IA, de nombreux comptes et personnalités politiques d’extrême droite rendent hommage à ces fameux gendarmes qui auraient « baissé leurs armes en soutien aux agriculteurs » et qui seraient à présent sous la menace de « sanctions ». Sur le site officiel de la gendarmerie nationale, les faits sont toutefois présentés d’une autre manière : si des vidéos montrant des gendarmes retirer leur casque et baisser leur bouclier existent bien, il s’agit avant tout d’une stratégie de désescalade, et non d’un refus d’obéir.

Polarisation express

Au-delà de la colère agricole, la prédominance des narratifs et des idées d’extrême droite sur un fil d’actualité neuf et vierge de toute interaction interroge. En moyenne, six posts sur dix semblent mettre en avant des idées anti-immigration ou poussent une revendication identitaire exacerbée, à coups de drapeaux français ou de moqueries vis-à-vis d’une population arabo-musulmane. Même lorsqu’il ne s’agit pas spécifiquement de pousser une idéologie, tous les posts recommandés par le fil sont axés sur l’émotionnel, et en particulier la colère, le clash ou le sentiment de fierté nationale. Du côté des médias aussi, la diversité est mise à mal. Si quelques rédactions comme France 3 Régions ou Le Dauphiné bénéficient d’une bonne mise en avant algorithmique, la plupart des comptes recommandés sont issus de médias spécialisés dans le relais d’informations virales, comme Pure TV (Webedia) ou Gossip People, qui font des cartons avec des citations chocs de personnalités médiatiques.

S’ajoutent à cela d’autres médias plus orientés ou controversés comme Cerfia, Frontières ou TV Libertés. Le premier est un compte X à l’origine, devenu une marque média rachetée par l’entrepreneur milliardaire et financeur d’influenceurs catholiques et suprémacistes Pierre-Édouard Stérin. Le deuxième est un magazine et une chaîne YouTube orientés à l’extrême droite, dont le travail est plus proche de l’agit-prop (une forme de propagande visant à influencer les opinions politiques) que du journalisme. Le troisième est une web TV et un compte YouTube lancés par Philippe Milliau, ancien dirigeant du mouvement d’extrême droite Bloc identitaire. Facebook propose aussi des contenus postés par des pages plus « exotiques » comme « Fiers d’être Français » (357 000 abonnés) ou « Je suis Français » (1,2 million d’abonnés), dont les publications sont surtout composées de mèmes identitaires et de posts à la gloire de Jordan Bardella.

Un lent dérapage algorithmique

En scrollant quelques heures sur Facebook, on ressort avec une drôle d’impression : celle d’avoir basculé dans un espace médiatique où le centre de gravité est clairement situé à droite, et où le journalisme factuel, le débat d’idées et la réflexion semblent avoir déserté. Rien de bien étonnant quand on récapitule les décisions prises par Facebook ces dernières années. En janvier 2018, le changement d’algorithme voulu par Mark Zuckerberg a privilégié « les interactions significatives » (comprenez ici l’engagement émotionnel des utilisateurs) plutôt que le contenu des pages.

Après la fin du premier mandat de Donald Trump, Facebook a tenté de réduire la visibilité des publications politiques, une opération qui a eu peu d’effet, vu la prédominance des mécanismes algorithmiques. En fin de compte, le retour au pouvoir de Donald Trump a fini d’achever la transformation de la plateforme. En janvier 2025, le système de fact-checking, sur la partie américaine de la plateforme, a été arrêté, tandis que la modération des sujets comme l’immigration, l’identité de genre et le genre a été largement assouplie.

On pourrait penser que l’Europe, et notamment la France, est moins touchée par cette dérégulation des contenus polarisés, d’autant qu’en février 2024, Meta avait annoncé une réduction de la visibilité des posts politiques, notamment en raison de l’approche des élections européennes. Soit cette réduction n’a jamais vraiment été effective, soit elle n’est plus en vigueur. Dans les deux cas, Facebook continue d’être une cocotte-minute médiatique aux relents toxiques.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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