Nicole Kidman défile pour Vogue World

Du papier glacé aux tapis rouges, Condé Nast transforme Vogue en machine à évènements

© Vogue / YouTube

Pour transformer son modèle historique, Condé Nast mise tout sur les abonnements et l'évènementiel. Mais jusqu'où monétiser l'autorité culturelle sans l'épuiser, tandis que Jeff Bezos se paie le Met Gala 2026 ?

Chez Condé Nast, maison mère de Vogue, du New Yorker et de Vanity Fair, le virage est acté. « Nous n'attendons plus de la publicité qu'elle soit le moteur de croissance », affirme Roger Lynch, CEO du groupe, au Wall Street Journal. Avec l’IA qui siphonne le trafic et TikTok qui capte l’attention, le modèle historique de la presse magazine s’effrite. La réponse ? Miser sur les paywalls, et faire de Vogue un producteur d’évènements culturels mondiaux.

Vogue World, lancé par Anna Wintour il y a quatre ans, est ainsi devenu la vitrine du groupe. Concerts, défilés hollywoodiens, des stars en veux-tu en voilà : Kendall Jenner, Nicole Kidman, Doja Cat ou Gracie Abrams... L’édition 2025 à Los Angeles devrait générer 30 millions de dollars, + 50 % vs 2024. Le tout grâce à des partenariats massifs (Chase Sapphire Reserve, eBay, Eli Lilly) et à des billets vendus entre 500 et 5 000 dollars, avec une part reversée à des œuvres caritatives.

Pourtant le concept divise. Pour Fashion Windows, Vogue World est le « Diet Coke de la mode »  : beaucoup d’artifice, peu de substance. Pas de vraie création – quelques pièces Balmain customisées –, pas de moments artistiques, juste un show costumé pour VIP. Alex Consani en Diane Keaton version Annie Hall, Angela Bassett rejouant la reine Ramonda de Black Panther… Un « jeu à somme nulle », selon NSS magazine, dont la seule finalité serait financière.

Dans ce modèle tiré par l’événementiel sponsorisé, le Met Gala, orchestré par Anna Wintour, devient l’autre point de tension. L’annonce d’un sponsoring par Jeff Bezos et son épouse Lauren Sanchez pour l’édition 2026 du gala de levée de fonds annuel du Costume Institute du Metropolitan Museum of Art a déclenché un backlash massif en ligne – « Le Met Gala est mort », « pathétique », appels au boycott… Le précédent existe (Amazon déjà sponsor en 2012 ou Shou Zi Chew, CEO de TikTok, président d'honneur 2024), mais la tolérance du public s’érode : plus la tech finance, plus le gala perd en légitimité perçue. En juillet dernier, la couverture de Vogue avec Lauren Sánchez en robe de mariée avait déclenché des rumeurs selon lesquelles Bezos envisagerait de racheter Condé Nast comme cadeau de mariage pour son épouse, ancienne journaliste. Dans ce contexte, la gageure sera de sécuriser des revenus évènementiels sans en diluer le goût ou entamer une autorité culturelle déjà fragilisée.

L’urgence est réelle : le trafic web de Vogue a reculé de 5 % sur un an, celui de Vanity Fair et Glamour s'est effondré de 40 %, selon Similarweb. En moins de six ans, le chiffre d'affaires du groupe a été divisé par deux. En novembre, Condé Nast a fermé Teen Vogue et licencié six employés, déclenchant une confrontation houleuse (et filmée) avec le syndicat NewsGuild.

Le groupe mise aussi sur les paywalls (qui ont progressé de 30 % en un an) et lancera en 2026 Vette, une plateforme d'e-commerce. Il a aussi noué des accords avec Open AI, Amazon et Perplexity pour permettre à leur IA d'utiliser leurs contenus. Quant à Chloé Malle, la nouvelle directrice éditoriale du Vogue US (sous l'autorité de Wintour, devenue directrice éditoriale monde Vogue et directrice mondiale du contenu de Condé Nast) envisage de remettre en question sa périodicité pour se concentrer sur des éditions destinées à devenir des objets de collection. Comme la couverture de décembre 2025 – encore sous la direction directe de Wintour ? Timothée Chalamet shooté par Annie Leibovitz sur fond intergalactique kitsch a suscité bien des quolibets en ligne.

Pendant ce temps, sur un registre plus terre à terre, les charges fixes restent écrasantes : selon le média Glitz, les 24 étages occupés au One World Trade Center cherchent désespérément des sous-locataires pour alléger une facture de 76 millions de dollars par an.

Carolina Tomaz

Journaliste, rédactrice en chef du Livre des Tendances Business de L'ADN.

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