
Applications coraniques, imams connectés, influenceurs religieux, mosquées en ligne… Entre craintes d’une perte d’authenticité et opportunités d’inclusion, les innovations numériques bouleversent les pratiques spirituelles de nombreux musulmans.
Vivre un pèlerinage à la Mecque en réalité virtuelle, c’est la promesse de Muslim 3D, une application mobile permettant chaque jour à trois millions de musulmans de vivre l’Hajj depuis leur salon. Une alternative immersive pour les fidèles ne pouvant effectuer ce rite majeur de l’Islam, faute d’une condition physique ou financière adéquate. Au-delà des voyages virtuels dans les sites sacrés, les applications religieuses facilitent également la foi au quotidien. Muslim Pro et Athan (respectivement téléchargées plus de 100 et 10 millions de fois) permettent de s’informer des horaires de prière et d’installer des rappels personnalisés, de lire le Coran traduit dans une quarantaine de langues, ou encore d’identifier les mosquées les plus proches de soi et la Qibla (la direction vers laquelle prier). Côté cuisine, Scan Halal accompagne ses deux millions d’utilisateurs jusque dans leurs courses, en analysant la composition des aliments pour déterminer leur compatibilité avec la loi islamique.
E-mams et influenceurs religieux, les nouvelles figures de la foi
« Avec la révolution numérique, les imams ont développé leur présence en ligne, que ce soit en créant leur propre site internet, pages de réseaux sociaux ou mosquées en ligne », indique Sana Patel, docteure en philosophie et en études religieuses, spécialiste de l’Islam numérique. Une digitalisation accélérée par le Covid qui a démocratisé les visios et les streams de prières collectives, de prêches et de sermons. « En abolissant les distances, la technologie a facilité le contact avec les fidèles qui n’ont plus besoin de se déplacer à la mosquée pour recevoir un conseil spirituel », précise la chercheuse.
(la plus haute autorité religieuse d’un pays musulman), multiplie les conseils spirituels et les messages de motivation auprès de sa communauté de plus de 10 millions d’internautes sur Instagram et Twitter.
En parallèle, les contenus de lifestyle religieux rencontrent un grand succès sur les réseaux. Routine de jeûne pendant le Ramadan, recettes halal, conseils de modest fashion (vêtements jugés décents), Get Ready With Me pour aller à la mosquée… Les influenceurs créent davantage de contenus axés sur le divertissement et le partage d’expérience que les textes dogmatiques.
« Contrairement aux leaders religieux traditionnels, [les influenceurs] se concentrent sur les relations humaines, la vie du quotidien et ce que cela signifie d'être et d'agir en tant que musulman au XXIe siècle », résume l’étude Digital Islam and Muslim Millenials. Celle-ci dévoile le secret de réussite des créateurs de contenus à succès : « Ils ne présentent pas leur message religieux trop tôt (généralement une forme de leçon de morale), mais divertissent d'abord leurs adeptes avec une histoire bien articulée à laquelle on peut s'identifier ». Un personal branding essentiel pour capter l’attention d’une génération ultra-connectée, constamment sollicitée par une multitude de contenus.
Entre espace publicitaire et safe space
Le monde de l’influence est profondément ancré dans la société de consommation. A contrario, la sobriété est l’une des valeurs fondamentales de l’Islam. « De plus en plus d’entreprises n’ayant rien à voir avec la religion proposent des offres spéciales Ramadan, comme la marque de cosmétique Huda Beauty. Alors que le mois sacré est censé offrir un espace pour réfléchir à ses valeurs religieuses et pratiquer la charité, on se demande ce que des rouges à lèvres viennent faire là-dedans ! »,ironise Sana Patel.
Cependant, les nouvelles technologies offrent la possibilité aux croyants marginalisés d’affirmer leur identité dans une perspective intersectionnelle.

« Là où ils pourraient avoir du mal à trouver des mosquées inclusives dans la vie réelle, les musulmans appartenant à des minorités peuvent créer et rejoindre des safe space, des communautés en ligne les acceptant quel que soit leur genre ou orientation sexuelle », argumente Sana Patel. Une ouverture qui montre qu’à l’ère des likes et des lives, les récits religieux changent de format, mais pas de fonction : ils continuent à rassembler, instruire et inspirer.
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