
L’e-artiste suédoise Arvida Byström a vendu ses nudes créés par IA et, sans le savoir, ses clients ont discuté avec son clone virtuel Arvida.AI.
« Quand j’ai trouvé ce site pour déshabiller n’importe qui, je me suis dit : Ok, les gens vont faire de l’argent avec des nudes en IA non consentis. Et si je faisais de l’argent avec mes propres nudes IA de manière consentie ? » Voilà comment Arvida Byström explique la genèse de son expérimentation de quatre mois, durant lesquels elle a commercialisé une version numérique d’elle-même créée avec de l’IA. Si elle a d’abord posté des nudes classiques, au fil du temps ils sont devenus plus créaturesques, plus étranges. Elle a aussi créé un chatbot, Arvida.AI, entraîné sur ses interviews passées. Créé en collaboration avec l’équipe de IRIS.AI basée à Los Angeles, Arvida.AI a pu discuter avec ses clients.
Ce projet de recherche artistique à la fois esthétique et sociologique, est compilé dans le très beau livre Imagine Being Raw and Real In the Clouds à traduire par « Imaginez être brut et réel dans les nuages » (Nuda paper). Il rejoint un thème récurrent chez cette « digital woman », la « digital feminity », et nous propulse dans un futur où il existe des romances virtuelles avec des bots à l’apparence modulable. Rencontre avec la version humaine d'Arvida Byström.
Les gens qui ont participé à votre expérience ont-ils réellement cru que c’est vous qui répondiez, et qui étiez nue en photo ?
Arvida Byström : Oui, la plupart. C'est dur de savoir précisément combien, mais beaucoup de gens étaient vraiment engagés dans des discussions assez profondes avec elle. Parfois, cela m’a rendue triste pour ceux qui pensaient me parler, car ils avaient des connexions profondes.
Vous avez lu tous les échanges ?
A. B. : Oui, parce que pour entraîner une IA consistante et fiable qui ne va pas suggérer de mauvaises choses, c’est beaucoup de travail. Il faut toute une équipe. J’ai dû faire des allers-retours dans les discussions pour que l’IA ne suggère pas que je rencontre les gens par exemple. L’usage principal des chatbots IA est d’être un support, donc très souvent les IA sont programmées pour être très positives et gentilles, parfois un peu trop gentilles. L’IA est d’ailleurs très forte pour rendre des situations désagréables moins agressives, ce qui est intéressant.
Le titre complet du livre, Imagine being Raw and Real In the Clouds, vient des échanges que Arvida.AI a eu avec les gens ?
A. B. : Oui elle utilisait beaucoup les mots raw and real (brut et réel), et on a utilisé « in the clouds » pour évoquer à la fois un roman d’amour, mais aussi parce que c’est une sorte de créature vivant dans le cloud.
Au-delà du chatbot Arvida.AI, les gens se sont abonnés à votre profil pour des images pornos. J’imagine que vous n’avez pas tout de suite posté les nudes créaturesques qu’on trouve sur votre Insta ?
A. B. : J’ai très rapidement commencé à jouer avec cette esthétique, même avant ce projet, quand j’utilisais Dall-E pour créer des corps étranges. Ce sont les images que je trouve les plus intéressantes et belles.
Votre manière de prendre les photos a-t-elle évolué en sachant que ces photos passeraient dans une IA ?
Je prenais des photos très réalistes, avec des poses très basiques. L’IA n’a pas été entraînée sur des poses complexes, ce avec quoi j’ai beaucoup joué pour créer les images les plus monstrueuses et bizarres. J’ai beaucoup expérimenté pour comprendre ce que l’IA pouvait faire ou ne pas faire. Elle est capable de faire du porno très direct, parce qu’elle a probablement été entraînée sur des films pornos. Par exemple, si vous tenez un objet devant votre pantalon ou vos sous-vêtements, ça va l’aspirer, comme si vous vous faisiez pénétrer, parce que l’IA a été entraînée sur des gens qui se font pénétrer.
Vous mélangez donc virtuellement votre corps avec celui d’autres femmes dont les images ont servi à entraîner ces IA. C’est une nouvelle forme d’exploitation du corps des femmes ?
A. B. : C’est comme ça que fonctionne l’IA, elle est entraînée sur des sets de données passés, elle s’entraîne sur l’esprit humain, et sur des corps humains si vous voulez créer des corps. Mais, à peu près tous les échelons de la chaîne de l’IA sont liés à l’exploitation. La technologie a toujours appris des humains, pour le recréer ou essayer de reproduire une tâche humaine. La question est : comment faire pour que ça bénéficie à toute la société.
Vous avez gagné 10 000 euros en quatre mois en vendant ces deep nudes.
A. B. : Ça fait 2 500 euros par mois, mais avec les taxes suédoises qui déduisent 50 %, ça revient à 1250 euros mensuels, ce qui est en dessous du minimum légal en Suède… Mais oui, tu peux faire de l’argent avec ça. En revanche, c’est beaucoup de travail. Les entreprises de la tech ont tout intérêt à prétendre que ce n’est pas le cas (rires).
Pensez-vous que certains ont fait des rêves sexuels surréalistes après avoir vu vos nudes les plus créaturesques ?
A. B. : Peut-être. Je pense que ce n’était pas encore assez surréaliste, mais j’espère que le nouveau projet va faire en sorte que cela se produise. Parce qu’au final, les gens étaient plus là pour du porno classique.
Qu’est-il arrivé à AI Arvida depuis la fin du projet, va-t-elle continuer à « vivre » ?
A. B. : Avec un peu de chance je vais la ressusciter bientôt. Sur une plateforme différente, pour que les gens puissent discuter avec elle, plutôt comme une sorte d'AI cam girl monstrueuse et étrange. J’essaye de créer un site « porno grotesque », avec Arvida AI pour discuter et sexter.
Est-ce que ce projet a pu éduquer des gens à prendre conscience que l’IA est partout, et que certaines choses peuvent être fausses ?
A. B. : Oui, mais d’un autre côté, la pornographie est déjà une industrie de la fantaisie. Et quand on parle de fantaisie, je ne pense pas que ce soit un problème que ce soit de l’IA. Ce n’est pas nouveau, le porno fait déjà partie d’une mise en scène, même le porno amateur. En revanche, tout ça peut créer des standards irréalistes pour les humains en dehors des écrans, et ça peut être un problème.
Qu’est-ce qui vous intéresse dans ces nudes créaturesques ?
A. B. : Ce qui est intéressant avec l’IA, c’est de faire des choses qui ne représentent pas la réalité. Et même d’une sorte de point de vue féministe, si tu fais quelque chose qu’il est possible de recréer hors ligne, c’est un risque plus grand d’être imité. Mais si tu crées quelque chose qu’il n’est même pas possible de recréer hors ligne, ou qui est tellement hideux que personne ne veut y accéder, tout à coup, tu permets aux gens d’avoir une fantaisie sexuelle, sans avoir la pression de vouloir imiter ou devenir comme ça.
Penses-tu qu’il soit possible de se sentir plus authentique dans une version virtuellement modifiée de soi ?
A. B. : « Authentique » est un mot très complexe et trop vague qui prend trop de place aujourd’hui. La photographie n’était déjà pas authentique… Sans même parler de retouches, tu peux faire en sorte d’avoir une bonne lumière qui va te faire paraître plus jeune, ou plus vieux, etc. C’est un mot compliqué.
Tu as dit être une « humanoïde mythique parasocial dans le téléphone des gens » … Peux-tu nous en dire plus ?
A. B. : Les gens ont des relations parasociales avec moi, certains se sentent plus proches de moi que moi envers eux, parce qu’ils me suivent. J’ai beaucoup travaillé par le passé sur l’influenceur, la personne sur son téléphone, en le voyant comme une sorte de fée, ou un humanoïde mythique. Au long de l’histoire, les humains ont toujours créé des créatures semblables aux humains pour donner du sens à la vie quotidienne. Mais ces influenceurs n’existent qu’au travers d’un téléphone, comme des demi-humains.
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