
À la suite du meurtre de Brian Thompson, le décalage entre le sentiment de revanche des internautes et les unes indignées des médias est sidérant.
« Nous sommes profondément attristés et choqués par la mort de notre cher ami et collègue Brian Thompson, le PDG de UnitedHealthcare. » Sur la page Facebook de la plus grande compagnie d’assurance médicale des États-Unis, un message annonce la mort brutale de son dirigeant, abattu de plusieurs balles à New York, le 4 décembre dernier. Sous ce post censé recueillir les hommages, on peut compter 50 000 réactions, dont plus de 45 000 formées avec l’émoji « Haha ». Non, les utilisateurs de Facebook ne se sont pas trompés de bouton. Ce déferlement de rires sarcastiques représente parfaitement l’humeur générale des internautes américains au lendemain de la nouvelle. Humeur que l’on pourrait traduire avec une seule expression : « Bien fait pour sa gueule ».
La curée sur les réseaux
Outre les réactions enjouées sur Facebook, durant les jours qui suivent l’assassinat, un déferlement de témoignages, d'informations et de mèmes vont envahir les réseaux. Le journaliste indépendant Ken Klippenstein, suivi par plus de 500 000 personnes sur X, ouvre le bal en publiant sur son compte un graphique montrant que le taux de refus d’indemnisation de UnitedHealthcare se situe à 32 %, soit le taux le plus élevé de toutes les compagnies d’assurance maladie américaines.

De son côté, l’humoriste Samantha Ruddy explique qu’elle a reçu une notification lui demandant de faire attention à cause de l’assassin toujours en fuite. Elle précise ne pas vraiment craindre pour sa vie étant donné qu’elle n’est pas « la dirigeante d’une entreprise d’assurance multimilliardaire très controversée ». Sous son post, les utilisateurs de X moquent déjà la presse mainstream qui évoque un « climat de peur », indiquant que le message laissé par le meurtrier n’est effrayant « que pour les CEO ».

Sur Reddit, des dizaines de publications se réjouissant de la mort du CEO atteignent en moins de deux jours le top 100 des posts du site avant d’être rapidement effacées par la modération, rapporte le site 404Media. Beaucoup de ces posts sont issus de communautés de soignants ou d’infirmières et montrent Brian Thompson accueilli en enfer (image), ou des détournements de messages de répondeurs téléphoniques auxquels les patients sont confrontés lorsqu’ils contactent leur assurance. Un peu partout, des témoignages affluent, décrivant une réalité médicale extrêmement sombre avec des proches décédés faute d’avoir une couverture médicale suffisante.

« Et vous rigolez ? »
Dans les médias mainstream, le traitement de l'assassinat de Brian Thompson avait pourtant commencé de manière fort classique. Très rapidement, CNN et le New York Times diffusent des extraits de caméras de surveillance montrant le parcours de l’assassin et même les images du meurtre. La plupart des titres évoquent un meurtre ciblé puis précisent rapidement le motif en évoquant les trois mots « Deny, Defend et Depose » ( « refuser, défendre, déposer » ) gravés sur les douilles. Il s’agit d’une référence directe au livre Delay Deny Defend: Why Insurance Companies Don’t Pay Claims and What You Can Do About It, écrit par Jay Feinman, expert en droit des assurances et professeur émérite à l’université Rutgers. Sorti en 2010, l’ouvrage expose les injustices en matière d’assurance.
Quand les deux jours suivants, les internautes commencent à se manifester, sous le post Facebook mais aussi sur X ou TikTok, la presse croit déceler une réaction venant des militants de gauche. Fox News pointe du doigt des « journalistes d’extrême gauche » et des utilisateurs de plateformes qui moquent cette « mort choquante ». The Atlantic titre : « Le meurtre est une réponse terrible à la colère des professionnels de la santé » et indique dans son article : « Il n’y a aucune excuse pour applaudir un meurtre ». Même son de cloche sur The New Yorker qui titre : « Un homme a été abattu de sang-froid et vous rigolez ? » et rappelle à ses lecteurs que le PDG d’UnitedHealthcare était un père de famille.
Sur YouTube, l’influenceur d’extrême droite adoré des trumpistes Ben Shapiro tente, lui aussi, d’imposer son point de vue. Dans une vidéo intitulée The Left's reaction to Brian Thompson’s murder, l’éditorialiste commente, choqué, les réactions qu’il attribue à des militants de gauche et précise que selon lui, les problèmes d’assurance maladie sont avant tout liés aux structures légales sur lesquelles elles reposent, et que ces compagnies ne font pas tant de marges que ça.
Peine perdue. Dans son espace "Commentaires", de nombreux internautes situés à droite de l’échiquier politique le rectifient sur ses chiffres et ses impressions, expliquant que non, « il ne s’agit pas d’une réaction venant de la gauche ».
Le Robin des bois 2.0
Sur TikTok, réseau où l’humour absurde domine largement, les vidéos glamourisent le tireur anonyme. Présenté comme une sorte de héros, ce dernier fait l’objet d’une bienveillance rarement vue sur les réseaux. Beaucoup de TikTokeurs évoquent le fait qu’ils ne témoigneront contre lui ou le comparent à Spiderman.
L’autre sentiment qui semble dominer, c’est cette envie collective de vengeance que les médias mainstream décortiquent comme une forme de « frustration » malsaine. Comme le dit la tiktokeuse nopebrigade à propos des réactions sur le Web : « Oui, nous savons quoi faire avec cette colère. La plupart du temps, nous ne pouvons juste pas l’exprimer. »
Enfin, au-delà du défouloir généralisé, quelques TikTokeurs s’interrogent sur l’aspect transpartisan de ces réactions. Dans l'espace commentaires de Ben Shapiro, les internautes en appellent à une réflexion plus large sur le bouillonnement des conflits de classes et le besoin d'arrêter de diviser le pays par une simple lecture : républicains contre démocrates.
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