image représentant des femmes ensemble

Dater à l'ère post #metoo : « Pour beaucoup d’hommes, c’est déconcertant »

Avec happn
© Lookstudio

Dans une ère où les cartes des relations hommes-femmes sont rebattues, les femmes redéfinissent les contours de ce qu’elles attendent d’une relation. Face à elles, la révolution masculine se fait attendre… Témoignages.

Sidonie*, pâtissière de 26 ans est arrivée « très lentement » au féminisme. « Ado, j’étais plutôt du genre à participer aux plaisanteries sexistes. Je m’entendais mieux avec les garçons. Au fil du temps, j’ai été victime moi-même de ces blagues. » Elle découvre le féminisme via des amies d’amis : celles-ci sont des féministes engagées et leur discours lui parle. Pendant le confinement qu’elle passe dans sa ville de Lyon, elle s’intéresse davantage au sujet. Elle écoute des podcasts, regarde des vidéos, suit des comptes Twitter et Instagram comme Nous toutes, Le coin des LGBT+… bref : elle s’éduque.

Sa relation au dating s’en trouve changée. « J’ai vu un tournant dans ma vie amoureuse. Je n’ai plus attiré les mêmes profils et j’ai su voir des comportements problématiques qui ne passent plus », dit celle qui dit ne plus supporter les « les jugements sur mon corps, des remarques grossophobes ou sur les poils, des commentaires sur ma manière de me maquiller ou de m’habiller… » Désormais en couple, elle n’a rencontré ses partenaires quasiment exclusivement via des applications de rencontres, espace de consentement essentiel, estime-t-elle : « avoir un lieu dédié à la séduction était important. On rencontre des gens quand on le souhaite, où on le souhaite. »

Solenne, a elle aussi vu ses rapports amoureux bouleversés par cette évolution. La jeune femme de 35 ans, freelance dans la communication à Bordeaux, est arrivée au féminisme il y a une dizaine d’années. Fraichement célibataire, elle explore à l’époque cette nouvelle liberté et rencontre les théories féministes sur les réseaux sociaux. Elle lit Mona Chollet, Le Cœur des femmes, de Martin Winckler, Mangeuses, de Lauren Malka ou encore L’Heure des femmes, d’Adèle Bréau.

Cette révolution personnelle la consolide. « Ça m’a ouvert les yeux et m’a fait prendre conscience de tout ce que j’acceptais à tort. Ça m’a donné des orientations sur lesquelles je ne veux plus flancher », dit-elle. En particulier : son indépendance. « J’ai été beaucoup seule, j’ai gagné beaucoup de liberté, d’assurance, de débrouillardise. Je ne veux pas les lâcher. » Elle explique s’être détachée de schémas de dépendances et être désormais dans une sorte de « besoin de rien, envie de toi » vis-à-vis de ses partenaires. « S’il est là, tant mieux. Sinon, je vais bien quand même. » Pour beaucoup d’hommes, et malgré un discours qui prône parfois le contraire, une telle indépendance est déconcertante. « Plus mes valeurs féministes se renforcent, plus il est difficile de trouver quelqu’un », regrette-t-elle.

Politiser le date

Si le féminisme est primordial pour les deux femmes, ni l’une ni l’autre ne s’affiche de prime abord ouvertement féministe sur les applis de rencontre qu’elles utilisent. « Dans ma bio je veux garder un ton humoristique et léger », explique Sidonie. Elle évite aussi le sujet lors des premiers rendez-vous. « Je n’y vais pas de manière frontale, j’attends que le sujet vienne sur la table. Je n’ai pas envie de politiser ou d'amener des sujets virulents. (…) Je pense qu’on a peur que les hommes nous voient comme des feminazis intransigeantes et à la limite de la misandrie. Une fois que l’on sait que notre interlocuteur partage notre façon de penser, on peut en parler facilement. »

Solenne aussi préfère la manière douce, mais laisse des indices. « Rapidement, je décris mon quotidien, l’indépendance que j’ai acquise. » Dans son profil, elle indique sa profession et note la « conscience sociale » parmi ses centres d’intérêts. De quoi mettre la puce à l’oreille. Si elle met de l’eau dans son vin dans l’affirmation de ses valeurs, elle est plus catégorique dans le fait que son partenaire de vie doit être féministe. Un critère pas toujours facile à remplir. « Les hommes sont dans une période particulière, où ils sont insécurisés et en perte de repères », estime-t-elle. Elle envisage parfois de se tourner vers des hommes un peu plus jeunes, davantage sensibilisés à ces questions. « Le risque lorsqu’ils sont plus âgés est qu’ils se crispent dès que tu leur parles de consentement. »

Des recherches rigides

Face à ces femmes qui redéfinissent leurs limites, certains hommes s’arc-boutent. C’est en tout cas ce que remarque Sylvie, 50 ans, active sur les applications depuis la séparation du père de ses enfants il y a 14 ans. Elle regrette que les hommes n’essaient plus « de charmer ou de faire rire » sur leurs profils. Selon elle, ils énonceraient plutôt ce dont ils ne veulent pas. Elle-même a un rapport ambivalent avec le féminisme – elle se revendique féministe de la première heure, de celles qui se battaient pour le droit de vote et l’égalité salariale, et estime qu’aujourd’hui certaines femmes sont extrêmes dans leurs revendications. Prise entre deux feux, elle constate un « mal être général ». « Les rapports hommes-femmes se compliquent. D’un côté, certains revendiquent d’en avoir « ras-le-bol des folles », de l’autre on a envie de devenir encore plus féministe parce que c’est insupportable d’entendre parler des femmes comme ça. »

Une crispation de certains hommes qu’a aussi remarqué Sarah, 45 ans. « Beaucoup d’hommes sont très rigides dans leurs recherches. L’une des premières choses qu’on te demande est si tu es une bonne cuisinière. Ils ne sont pas dans la vraie recherche de la personne, ils sont dans le « je » », estime-t-elle. Elle aussi reconnait un rapport compliqué avec le féminisme mais concède que ces réactions la poussent à le revendiquer davantage. « Les hommes veulent une femme douce. Quand une femme sait ce qu’elle veut elle est perçue comme autoritaire. Il y a beaucoup de travail. »

Pour Sidonie néanmoins, les choses bougent. « Mes premiers partenaires étaient l’archétype des hommes machos. Désormais, on sent qu’ils ont été davantage sensibilisés soit par les réseaux sociaux, soit par leurs ami·es féministes. » A condition que ce ne soit pas seulement cosmétique, ou pire, que cela permette à des hommes prétendument déconstruits de mieux asseoir un pouvoir sur leur partenaire. « Le féminisme et son lexique se sont grandement intégrés dans certains processus de manipulation par les hommes envers les femmes. Il faut aujourd'hui s'en méfier, sur les applis et ailleurs », présente celle qui explique avoir déjà « été victime de faux féministes - et certaines de mes amies aussi. »

Déconstruire pour reconstruire

Pour Fanny Vedreine, autrice de Comment le féminisme va ruiner ta vie (pour mieux la reconstruire, promis ! ), la rencontre avec le féminisme complique en effet les rapports amoureux. « Les femmes ont tellement de choses à changer à titre personnel que lorsqu’on fait face à des hommes encore dans des valeurs patriarcales, sans parfois en être conscients, il y a un mur. » Mais ce n’est pas une fatalité, rassure l’autrice. « C’est juste qu’ils prennent les wagons en retard alors qu’on est devant ! » Un décalage de temporalité qui vient d’une incompréhension, pense-t-elle. « Trop d’hommes pensent que le féminisme veut dire que les femmes veulent dominer alors que c’est une quête d’égalité. A partir de là, ils ne vont pas s’y intéresser. » Aujourd’hui encore, rares sont les hommes à porter une voix féministe auprès de leurs pairs, regrette-t-elle en citant tout de même Martin Page.

Le féminisme complique les rapports, mais il apporte aussi liberté, indépendance et confiance en soi. « Le ciment de tout ça est la communication. Oser user de vulnérabilité quand on est un homme. Accompagner sans cesse ces évolutions en se débarrassant des carcans absolus de la masculinité et de la féminité. Je suis en admiration devant ces gens qui réussissent à créer un débat passionnant entre eux pour déterminer ce qu’ils veulent, laisser le champ à la liberté et ne pas reproduire les schémas qu’on nous inculque depuis les années 90. » Et s’il faut s’armer de patience, le jeu en vaut la chandelle !

* Tous les prénoms ont été changés

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