« Rien n’est vrai », préviennent les producteurs… Depuis le 26 janvier sur les écrans britanniques, grâce aux technologies de deepfake, des superstars se crêpent le chignon autour de triviales guerres de voisinage.
On ne peut plus rien croire. À l’écran, Beyoncé Knowles, en skinny jean et t-shirt en coton, enrage contre sa voisine, Billie Eilish, avec qui elle s’entendait jusqu’ici plutôt bien. Cette dernière tiendrait un cabinet de dentiste illégal et les bruits de fraiseuse dérangent Beyoncé dans son travail de télé marketeuse. Plus loin, c’est Greta Thunberg, mère célibataire originaire de Suède, qui enrage contre ses voisins, Connor Mc Gregor, fleuriste, et Ariana Grande, monteuse d’échafaudage. Ces derniers sont fans de décorations de Noël au point de les laisser jusqu’en plein juillet. Y’a plus de saisons ma bonne dame.
Si ces noms vous disent quelque chose, leurs visages aussi vous sembleraient familiers. C’est le concept de Deep Fake Neigbhour Wars, un programme télé diffusé sur la chaîne britannique ITVX depuis le 26 janvier qui propose grâce aux techniques de deepfake de mettre les plus grandes célébrités du moment dans des situations de guerres de voisinage. Se côtoient ainsi Rihanna, Usain Bolt, Adèle, Kim Kardashian, Matthew McConaughey ou encore Chris Rock, autour d’histoires de poubelles et de jardin partagé.
StudioNeural et deepfake Zuckerberg
La technologie, des images de synthèses combinées à l’intelligence artificielle (IA), est impressionnante. À l’écran, aucun des signes qui trahissent habituellement le trucage – un mouvement de bouche peu naturel, une texture soudainement pixélisée... Pour atteindre ce résultat, les images générées par IA ont été modifiées manuellement plus d’un million de fois, explique au Guardian Barney Francis, aka Bill Posters, artiste, activiste et directeur de StudioNeural, le studio derrière cette prouesse technologique. De leur côté, les acteurs doivent s’appliquer à rester face à la caméra pour que les technologies de reconnaissance faciale puissent se greffer. Avoir une structure de visage similaire à celle de la célébrité incarnée est un atout.
Le studio est plutôt discret sur son histoire et son organigramme – pas de page LinkedIn, seulement deux posts sur Instagram et aucune réponse à nos demandes d’interview. Sur son site Internet, l’entreprise affiche néanmoins un clip fait pour le rappeur Lil Uzi Vert, « le premier clip de hip-hop en deepfake », et une pub pour Breitling où la technologie a été utilisée pour faire revivre « trois générations de la dynastie Breitling ».
Surtout, Bill Posters est derrière le deepfake de Mark Zuckerberg, co-crée en 2019 avec Daniel Howe et devenu viral, où le duo faisait déclarer au patron de Facebook que « Quiconque contrôle les données, contrôle le futur » . Un coup d’éclat qui a suscité l’intérêt des boîtes de productions nationales, raconte le directeur au Guardian, jusqu’à Tiger Aspect, producteur de Deep Fake Neigbhour Wars. « Nous avons toujours voulu avoir une exploration philosophique de cette technologie, et nous avons cherché des façons intéressantes de l’appliquer », prône Barney Francis.
Quels droits à l’image ?
Philosophique, les guerres de voisinage ? À tout le moins, le programme soulève de réelles questions éthiques. Au début de chaque épisode, les producteurs préviennent : « Tout est faux / Les histoires sont toutes inventées / Les vraies célébrités n’ont rien à voir avec ça / Nos célébrités sont toutes jouées par des acteurs / Leurs visages sont tous DEEP FAKED ». Reste, un spectateur arrivé en cours de route pourrait légitimement se demander ce qu’Idris Elba ou Will Smith viennent faire dans cette galère…
Barney Francis balaie ces inquiétudes : les histoires sont assez absurdes pour que le spectateur ne s’y trompe pas. « Si vous allumez votre télé en milieu de programme et pensez que [le footballeur anglais] Harry Kane a vraiment eu le carrelage de son patio cassé par [le rappeur] Stormzy, il faut vous poser des questions. » Côté juridique, la satire semble en effet protéger ses créateurs. « Comme dans tous les programmes comiques, il y a des risques de plaintes sur le mauvais goût, la violation de la vie privée ou même la diffamation, décrypte l’avocat Ron Moscona, spécialiste de la propriété intellectuelle et des technologies, pour le magazine Little Black Book. Tant que le programme dit clairement que ce ne sont pas de vraies gens, que les vraies gens n’approuvent pas, et que l’idée est de les tourner en dérision, les principes de la liberté d’expression devraient protéger le programme de toutes responsabilités. » L’avocat reconnaît néanmoins que « ce genre de show teste indéniablement les limites ».
Alors que la technologie est encore balbutiante et la jurisprudence floue, les usages émergent. En octobre 2022, Bruce Willis a autorisé une agence de publicité russe à utiliser son jumeau numérique, donnant lieu à des rumeurs sur la vente de son image. Pour son émission L’hôtel du temps, dans laquelle il ressuscite par intelligence artificielle des légendes disparues, Thierry Ardisson et France 3 avait obtenu l’accord des ayants droit de Dalida et leur avait donné un droit de regard, même si celui-ci n’était pas obligatoire, précise la production sur son site.
De David Bowie à Kim K
Côté artistique, une fois passée la « joie malsaine » de voir ces superstars en pyjama, la série devient vite ennuyeuse et on se dit que dans le genre, le mockumentary, à traduire par « documenteur », fait probablement plus son effet. De 1997 à 2001, la BBC a diffusé Stella Street, qui partait du postulat qu’un groupe de stars américaines et britanniques avait décidé de s’installer dans la même rue. On y croisait, incarnés par des acteurs pas tout à fait ressemblants, David Bowie, Marlon Brando, Yoko Ono ou Madonna se croiser dans l'ennui de la vie de banlieue. Plus ça change, plus c'est la même chose.
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