Portrait de Rachid Ouramdane, chorégraphe, danseur et directeur de Chaillot, Théâtre National de la Danse
L’ADN Le Shift est né d’une volonté de vous inviter à vivre ce que nous vivons en tant que média : vous connecter à ces pôles d’énergie de l’époque, initier les rencontres, faire naître d’authentiques conversations, et créer des relations durables. Aujourd’hui, en pleine crise sanitaire mondiale, nous avons besoin plus que jamais de créer du lien, de nous rencontrer et de vous présenter celles et ceux qui pensent et font le monde de demain. Un portrait, une rencontre.
Votre art permet-il de mettre en lumière certains dysfonctionnements de notre société ?
Rachid Ouramdane : Il y a une dimension documentaire dans certaines de mes pièces. J'essaye d'élargir les points de vue et de proposer des alternatives à la pensée dominante. En 2012, j'ai réalisé une pièce qui s'intitulait "Sfumato" et pour laquelle j'étais allé à la rencontre des réfugiés climatiques de la région du Sichuan et du Yunnan en Chine. On commençait de plus en plus à parler de ces personnes. J'ai essayé d'apporter leurs témoignages sur ce qu'ils avaient vécu. Il s'agit véritablement de drames écologiques, de coulées de boue suite à des pluies torrentielles, de villages reconstruits dans l'urgence puis balayés en quelques minutes... Pour eux, le réchauffement n'était pas un scénario à venir. C'était quelque chose qui les avait touchés dans leur chair, qui avait détruit leurs familles, tué des gens. Mon but était de contribuer à une réflexion au travers de la vie brisée de ces personnes.
La danse est un moyen pour que le public comprenne mieux ces problématiques ?
R.O. : Le devoir d'objectivité que peut avoir un journaliste ou un chercheur ne peut pas être comparé avec le travail d'un artiste, qui peut s'autoriser à rentrer dans le champ de la fiction pour aborder le réel. Les chorégraphes, et les artistes en général, peuvent recourir à des récits qui parlent des problématiques de notre époque pour permettre aux gens d'en prendre la mesure sous un angle subjectif. La subjectivité a droit de cité pour parler de sujets qui concernent l'ensemble de notre communauté humaine. Recourir à l'émotion peut permettre d'atteindre différemment les personnes. Nous sommes tous pétris par nos affects et nos sensibilités que et en même temps par notre capacité à analyser les phénomènes avec plus de distance. Quand un événement a lieu dans la société, chacun compose avec sa charge émotionnelle et la réflexion qu'il impose. Considérer des sujets au travers de l'impact affectif qu'ils ont sur des gens me semble d'une certaine façon avoir une attention au vivant.
Un exemple ?
R.O. : L'année dernière, j'ai réalisé un projet qui s'intitulait "Franchir la nuit" sur lequel j'ai travaillé pendant toute une année avec des mineurs isolés, c'est à dire des enfants migrants qui n'ont pas de statut sur le territoire français et plus de famille pour les entourer. Beaucoup de leurs repères sont troublés. Nous avons mené un projet au long cours avec la protection de l'enfance, avec les associations, avec les instances juridiques qui doivent réfléchir au statut à leur donner. Ce sont des projets artistiques qui sont très complexes à monter car il faut obtenir un nombre important d'autorisations. Mais une fois que cette communauté monte sur scène et prend la parole, alors les gens les voient plus largement que uniquement au travers de leur statut de migrant et de victime qui sont présentés au journal télévisé. Les spectateurs ne les regardent pas uniquement à travers la focale victimisante d'un mouvement migratoire... Et concernant le quotidien de ces jeunes, ce type de projet les plonge dans un réseau d'échanges et d'activités plutôt qu'il ne les isole du cours de la vie de notre société.
Aujourd'hui, est-ce que les artistes sont davantage engagés sur les problèmes sociaux et environnementaux ?
R.O. : A chaque époque, il y a eut des mouvements artistiques qui ont tenté d'interpeller l'opinion. Il y a eu de grands cris d'alerte pour questionner la morale, la bienpensance, les préjugés... Je dirais plutôt que les sujets se réactualisent. C'est vérifiable actuellement avec la question du genre. Les curseurs se positionnent de façon plus importante sur certaines thématiques. Il y a le débat sur la représentativité de notre diversité culturelle, que ce soit dans le cinéma, dans le théâtre, les arts vivants... C'est aussi un sujet sur lequel j'ai été beaucoup impliqué. Comment accéder à une représentativité qui soit beaucoup plus proche de ce qu'est la population française dans toute sa diversité ?
Votre projet phare pour cette année ?
R.O. : Je dirigeais le Centre Chorégraphique National de Grenoble, dans cet environnement de montagne dans lequel j'ai grandi, et je suis fasciné par les sportifs de l'extrême. J'ai travaillé avec des artistes voltigeurs, des gens dans le milieu de l'aérien... Ces sportifs de l'extrême se confrontent à des environnements hostiles, des endroits où l'être humain n'a pas droit de cité. Ils se frottent aux limites du corps humain. Je me suis rapproché de Nathan Paulin, un highliner français, c'est à dire quelqu'un qui marche sur un ruban de la largeur d'un ticket de métro au dessus du vide. Le projet qui m'occupe en ce moment est lié à ces pratiques de l'extrême. Il sera créé en 2021. C'est un projet avec en arrière plan une réflexion écologique sur les grands espaces auxquels ils se confrontent. Ce qui est remarquable, c'est leur capacité à habiter des espaces inattendus et à créer une harmonie avec le monde qui les entoure.
Rachid Ouramdane est membre de L’ADN Le Shift.
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