Demain, on paiera avec la reconnaissance faciale

« Demain, on utilisera la reconnaissance faciale pour payer au restaurant »

Avec Allianz
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Après la révolution mobile, la reconnaissance faciale devrait bouleverser nos manières de consommer. Explications avec Jérémy Dahan, CEO de Globe Groupe.

La Chine fait figure de précurseur en retail du futur. Quelles tendances avez-vous observées sur place et qu’annoncent-elles pour demain ?

Jérémy Dahan : Déjà, il y a beaucoup de monde dans les points de vente et dans les malls, c’est une bonne nouvelle pour le retail. Ensuite, les malls se spécialisent : luxe, lifestyle… pour offrir aux consommateurs toutes les marques sur une gamme des produits spécifiques. Côté consommateurs, ils achètent après avoir essayé sur place. Il y a une grande importance accordée aux démonstrations et aux tests et tous les produits sont disponibles. Alors qu’en France on a tendance à réduire les espaces retail et les rationaliser, on observe l’inverse en Asie ou aux États-Unis où le nombre de vendeurs et de conseillers a doublé depuis dix ans. Il y a une tendance de fond de réhumanisation du point de vente. Demain, les centres commerciaux devront se réinventer et devenir des lieux d’expériences, pensés pour tous les membres de la famille.

L’avenir du parcours client passe-t-il par le phygital ?

J. D. : Le phygital est une tendance déjà présente et qui va prendre de plus en plus d’importance. En Asie, mobile et retail fonctionnent ensemble. Il y a la 5G partout, et il n’y a pas une personne dans la rue ou dans les malls sans son téléphone à la main, pour chercher un point de vente ou une information. Demain, le mobile sera un moyen de paiement et un outil qui participera à l’expérience shopping physique. Le phygital va devenir un standard d’ici cinq ans. Vous serez dans un point de vente, vous aurez une information en magasin et si vous en voulez plus, vous sortirez votre téléphone pour avoir une vidéo de présentation ou ce qu’en ont pensé les autres consommateurs, avec une note sur le produit. En France, les marques ont encore beaucoup à faire pour proposer une expérience aboutie de phygital.

Comment le point de vente se transforme-t-il ? Quel rôle jouera-t-il demain ?

J. D. : Le point de vente devient le showroom, l’expérience, le média de la marque. C’est la zone où je ne viens plus seulement acheter un produit mais où je viens démontrer les valeurs de mon produit. Le fait de voir physiquement le produit, le toucher… c’est capital. Le point de vente devient un point de contact avec le consommateur. Or, les marques n’ont pas beaucoup changé leur approche du retail par rapport à il y quelques années, il y a toujours le physique d’un côté et le digital de l’autre. En revanche, les marques nées avec le digital, comme Lush, font le job. Après, que le consommateur achète le produit sur desktop, sur mobile ou sur place, cela n’a pas beaucoup d’importance.

Cela soulève tout de même l’enjeu de la distribution. Le modèle avec deux géants ultra dominants, Amazon et Alibaba, continuera-t-il d’exister ?

J. D. : Aujourd’hui, Amazon représente 50% du e-commerce aux États-Unis. Alibaba, c’est 65% du e-commerce en Asie et lorsqu’on ajoute le deuxième acteur asiatique juste après lui, on arrive à 78%. Les gros distributeurs amplifient leur force, les barrières à l’entrée deviennent colossales. C’est pourquoi je pense que nous allons assister à une concentration accrue de la distribution ces prochaines années.

Les gouvernements semblent pourtant décidés à en finir avec le monopole des GAFAM...

J. D. : En effet. J’ignore ce que les gouvernements décideront à l’avenir. Si on laisse faire le marché, la logique, c’est la concentration. Si on entrave le marché, en le régulant, on est effectivement capable de réduire cette tendance. Mais j’ai une règle : c’est le consommateur qui choisit. L’adoption d’un modèle se fait par les consommateurs, pas par les gouvernements.

Avec cette concentration de la distribution, les marques seront-elles encore plus dépendantes d’un Amazon ou d’un Alibaba dans les années à venir ? Ou vont-elles au contraire reprendre la main sur leur distribution ?

J. D. : Les marques vont chercher à reprendre la main sur leur distribution, mais elles ne pourront le faire qu’en conversant directement avec leurs consommateurs. C’est un challenge colossal pour beaucoup de marques dans les années à venir. Cela rebat les cartes car de nouvelles marques, qui ont fait de la discussion avec le consommateur leur ADN, se développent rapidement. Une marque comme Michel et Augustin a émergé de nulle part, juste en conversant avec ses consommateurs. Et si demain les distributeurs venaient à disparaître, elle ne perdrait pas ses consommateurs puisqu’elle est en contact direct avec eux. Engager une marque auprès des consommateurs, ce n’est pas seulement vendre des produits mais s’engager dans l’esprit de ce que veulent les consommateurs, sans faire semblant.

Justement, la relation avec une marque va désormais au-delà de la simple transaction. Les consommateurs veulent plus d’authenticité, de services, de qualité, d’éthique, d’humain. Avec quel impact à l’avenir ?

J. D. : Les marques qui gagneront dans les prochaines années seront les marques authentiques, qui auront une démarche authentique dans tout ce qu’elles font. On voit déjà des marques nées sur cette idée d’authenticité se détacher. Créée au début des années 2000, Lululemon était quasiment inexistante il y a quinze ans. Aujourd’hui, son chiffre d’affaires a dépassé le milliard de dollars. Les marques engagées et à l’écoute des besoins des consommateurs seront les plus puissantes demain. Ce sont celles qui créent déjà une démarche plus large que l’acte d’achat. Lululemon propose des cours dans ses points de vente. On fait du sport avec des gens autour de soi, on échange avec eux. On n’est plus là juste pour acheter un produit, même si évidemment on va acheter un produit. L’acte d’achat devient une évidence une fois que la marque a démontré qu’elle faisait des choses pour moi, qu’elle partait de mon besoin de consommateur. C’est exactement ce qu’a fait Steve Jobs avec l’iPhone. Les marques qui ne se soucient pas des besoins consommateurs n’y arriveront plus.

Cela signifie-t-il que nous allons vers un marché hyper personnalisé en 2030 ?

J. D. : La personnalisation est une vraie tendance de fond, on le voit avec Nike ID par exemple, qui permet de customiser la couleur, la semelle, les lacets, la gravure, le type de languette de ses chaussures. Mais cela relève de la customisation plus que de la personnalisation. La personnalisation, c’est un produit unitaire. Mettre des initiales toujours au même endroit sur une chaussure, ce n’est pas proposer un produit unitaire, ça devient juste un produit qui m’appartient. Il est un peu différent de celui de mon voisin, mais les caractéristiques fondamentales sont les mêmes. Aucune marque ne peut tenir la promesse du produit unitaire pour chaque personne, donc je ne crois pas à un marché hyper personnalisé en 2030.

En revanche, les consommateurs auront plus de choix, y compris pour la quantité de produit que je veux. Demain, si je veux un yaourt de 200g dans un certain conditionnement, je l’aurai. Le vrac va se développer dans les points de vente. Demain, je suis convaincu qu’un Milka vendra des produits en vrac. On n’achètera plus des tablettes de chocolat préemballées de 100g, mais on pourra se couper deux carrés de chocolat si on le souhaite. Ça c’est de la personnalisation. Le magasin Carrefour de Montesson expérimente ce principe. Sur deux rayons de 40m de long chacun, vous pouvez acheter des produits en vrac en choisissant vos quantités, la teneur en sel ou en sucre désirée ou encore le conditionnement des produits. Ce mode de personnalisation préfigure ce que sera le retail demain.

Carrefour a annoncé en mars qu’il allait généraliser le paiement par reconnaissance faciale dans ses hypermarchés chinois. Demain, paierons-nous avec notre sourire en France également ?

J. D. : C’est sûr ! D’ici 2 ans, vous paierez avec votre visage, c’est une évidence. Le paiement sans contact n’existait pas il y a trois ans, aujourd’hui il est entré dans nos vies. Je sais qu’en France on s’interroge beaucoup sur la reconnaissance faciale, avec ce fantasme de Big Brother et de surveillance… mais vous aurez le choix d’activer ou non la reconnaissance faciale. On peut déjà s’en servir pour déverrouiller son téléphone, certains pays l’utilisent aussi au passage aux frontières. Demain, on l’utilisera comme passeport ou pour payer au restaurant. Il y a toujours un délai de sécurisation de la technologie et un délai d’adoption par les consommateurs. Vous trouverez ça un peu intrusif au départ, puis vous trouverez ça pratique et, pour finir, vous ne vous poserez plus la question.

Les algorithmes (notamment de recommandation) et la robotisation ne risquent-elles pas de tuer le hasard ? Un parcours client dirigé ne nuit-il pas à la sérendipité des achats ?

J. D. : Je pense qu’il n’y a pas de hasard. Il n’y a pas plus ressemblant que deux consommateurs qui vivent la même vie : vous allez aux mêmes endroits, vous faites les mêmes choses, vous portez les mêmes choses… Vous êtes orientés par la consommation dans laquelle vous baignez toute la journée. Le hasard n’est pas souhaitable en consommation. Sinon vous rendez imprévisible tout comportement d’achat. Les rayons sont déjà organisés pour tuer le hasard. Si les produits de première nécessité comme le lait et les œufs sont rangés au fond, c’est pour vous obliger à traverser tout le magasin et passer devant les différents rayons. Ce sera peut-être accentué avec l’intelligence artificielle, mais ce concept existe depuis des années.

Et en tant que consommateur qui cherche un produit, je préfère qu’on me recommande celui qui me correspond, y compris grâce aux algorithmes, plutôt que de perdre du temps à le chercher. On a tous de moins en moins de temps à dédier à la consommation. Si la machine est suffisamment intelligente pour m’orienter vers le produit qui me va, qui correspond à qui je suis, à mes modes de consommation (engagée, verte, sans impact environnemental ou animal…), je trouve cela très utile. Après, si on veut du hasard, on éteint son écran, son téléphone et on entre dans le premier magasin qu’on croise.

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